La Française Esther Duflo, qui s'est vu décerner lundi le prix Nobel d'économie pour ses travaux sur la lutte contre la pauvreté, s'est imposée ces dernières années comme l'une des économistes les plus brillantes de sa génération.
Avant même d'obtenir le Nobel, cette Franco-américaine était l'une des économistes les plus célébrées dans le monde, notamment aux Etats-Unis, pour ses travaux empiriques contre la pauvreté qui lui ont valu de recevoir des prestigieux prix dont en 2010 la médaille John Bates Clark.
Nombre de récipiendaires de cette distinction, qui récompense les travaux d'économistes aux Etats-Unis de moins de 40 ans, ont d'ailleurs aussi par la suite été consacrés par le Nobel, à l'instar de Joseph Stiglitz, Paul Samuelson, Milton Friedman, James Tobin et Paul Krugman.
Les travaux d'Esther Duflo, essentiellement réalisés en Inde, lui avaient valu en 2013 d'être choisie par la Maison Blanche pour conseiller le président Barack Obama sur les questions de développement, en siégeant au sein du nouveau Comité pour le développement mondial.
Cette baroudeuse brune aux cheveux coupés au carré, au regard décidé, a eu les honneurs en 2010 d'un portrait d'une dizaine de pages dans le New Yorker, dans un numéro dédié aux innovateurs de notre temps.
En un demi-siècle d'histoire des prix Nobel d'économie, Esther Duflo est seulement la deuxième femme à recevoir cette distinction.
Théoricienne du hasard
«C'est une intellectuelle française de centre-gauche qui croit en la redistribution et en la notion optimiste que demain pourrait être meilleur qu'aujourd'hui. Elle est largement à l'origine d'une tendance académique nouvelle», écrivait alors le New Yorker.
La sensibilité de cette économiste, née à Paris en 1972, a pris corps dans une famille protestante, avec une mère pédiatre, investie dans l'humanitaire et qu'elle cite régulièrement en modèle, et un père mathématicien, enseignant-chercheur.
Diplômée de l'Ecole Normale Supérieure, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle est aussi titulaire d'un doctorat du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux Etats-Unis, où elle est aujourd'hui encore professeure.
Au laboratoire de recherche Abdul Latif Jameel sur la lutte contre la pauvreté, qu'elle a cofondé en 2003 et qu'elle dirige, son travail repose sur des expériences de terrain, en partenariat avec des organisations non gouvernementales (ONG). Selon le New Yorker, cette approche lui vaut, ainsi qu'à ses autres adeptes, le surnom de «randomista» (théoricienne du hasard).
Par exemple, «si on met en place un nouveau programme de soutien scolaire dans des écoles, on choisit 200 écoles au hasard, dont 100 mettront en place le programme et les 100 autres pas», expliquait-elle à l'AFP en 2010, quand elle avait reçu la médaille John Bates Clark.
Les progrès des élèves sont ensuite comparés et évalués dans les deux cas de figure, et les résultats de ces expériences sont ensuite relayés auprès des pouvoirs publics et d'associations caritatives comme la Fondation Bill et Melinda Gates pour «les faire passer à plus grande échelle», soulignait-elle.
«Caricatures et clichés»
Outre ses fonctions au MIT, cette amatrice d'escalade fut aussi la première titulaire d'une chaire au Collège de France sur les «Savoirs contre la pauvreté».
Son livre «Repenser la pauvreté», coécrit avec l'Indien Abhijit Vinayak Banerjee - corécipiendaire du prix Nobel 2019, et avec lequel elle a eu un enfant -, a reçu le prix du livre économique de l'année Financial Times/Goldman Sachs en 2011.
«Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés: le pauvre paresseux, le pauvre entrepreneur, le pauvre affamé», expliquait-elle dans un entretien à l'AFP. «Si on veut comprendre les problèmes liés à la pauvreté, il faut dépasser ces caricatures et comprendre pourquoi le fait même d'être pauvre change certaines choses dans les comportements, et d'autres non!».
Cet effort pour changer la perception de la pauvreté, elle aimerait aussi réussir à l'appliquer au regard porté sur l'économie et les économistes.
«Les économistes ont très mauvaise réputation et une partie de cette mauvaise réputation est probablement justifiée étant donné la manière dont fonctionne la discipline», expliquait-elle début 2019 sur France Inter, regrettant «une confusion où on se dit 'si quelqu'un est économiste, alors en fait il s'intéresse à la finance, il travaille pour les riches' alors que ce n'est pas forcément du tout le cas».