Chaque jour qui passe augmente la probabilité d'un Brexit sans accord, le 31 octobre prochain. Le Premier ministre britannique Boris Johnson ne ferme pas la porte à ce scénario, appelé «no deal», qui pourrait avoir de rudes conséquences économiques, mais aussi sur la vie quotidienne des citoyens européens et britanniques.
La croissance économique en berne
Un «choc instantané» pour l'économie britannique. Voilà ce que provoquerait un Brexit sans accord, selon le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney. D'après un rapport de l'institution, publié en novembre 2018, en cas de «no deal» et dans le scénario du pire, le PIB britannique serait amputé de 7,8 % à 10,5 % d'ici à 2024, par rapport à ce qu'il aurait été sans Brexit. Une étude du gouvernement britannique, parue au même moment, évalue de son côté la perte de PIB à 9,3 % en quinze ans.
La croissance ne serait pas le seul indicateur économique à basculer dans le rouge, selon la Banque d'Angleterre. Le taux de chômage grimperait en flèche à 7,5 % (contre 3,9 % aujourd'hui), tout comme l’inflation à 6,5 % (contre 2,1 % actuellement), tandis que la livre sterling s'effondrerait de 25 % et les prix de l’immobilier de 30 %. Des prévisions alarmistes, très loin de «l'énorme opportunité économique» vantée par Boris Johnson fin juillet.
L'Union européenne (UE) aussi verrait son économie touchée par un Brexit sans accord, puisque les relations commerciales entre le Royaume-Uni et l'Union seraient encadrées par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), plus drastiques que celles de l'UE, restreignant dès lors le commerce entre les deux parties. Selon les économistes du Centre d’études prospectives et d'informations internationales (Cepii), l'impact serait tout de même moins important qu'au Royaume-Uni. Ils prévoient en effet un repli du PIB de 0,8 % de façon permanente (0,3 % en France), contre 2,8 % outre-Manche (ce qui représente annuellement près de 2.000 livres, soit 2.150 euros, en moyenne par ménage). Par ailleurs, d'après une étude de l'institut allemand IWH, un Brexit sans accord menacerait 600.000 emplois dans le monde, dont 179.000 dans l'UE (50.000 en France).
Mais, comme le soulignent dans le Guardian deux membres du think-tank britannique «The UK in a Changing Europe», il est impossible de connaître précisément à l'avance l'ampleur économique d'un «no deal». En effet, d'une part, «personne ne sait à quel point la perturbation à court terme sera importante», et d'autre part, «nous ne pouvons pas prévoir l’impact qu'aura un 'no deal' sur la confiance des consommateurs et des entreprises».
Des transports perturbés
Un Brexit sans accord négocié avec l'UE pourrait provoquer des embouteillages monstres à la frontière entre le Royaume-Uni et la France. En effet, dans ce scénario, des contrôles douaniers supplémentaires devraient y être instaurés, alors que 10.000 camions passent chaque jour à Douvres (Angleterre), en provenance ou en partance pour le continent.
Sur son site internet, le port anglais a calculé que, même si les formalités administratives ne devaient prendre que deux minutes de plus par véhicule, cela créerait des bouchons de plus de 27 km à Douvres, et un chaos similaire de l'autre côté de la Manche en France (Calais et Dunkerque). Un chiffre qui pourrait monter à 50 km côté français, selon le directeur du port de Calais, Jean-Marc Puissesseau. Ainsi, selon un document publié par le gouvernement britannique le 11 septembre, les poids-lourds pourraient devoir patienter entre un jour et demi et deux jours et demi pour traverser la frontière.
Le transport aérien et ferroviaire pourrait également être troublé par un Brexit sans accord. En cas de «no deal», les compagnies aériennes britanniques et européennes perdraient en effet le droit automatique de faire circuler des avions entre l'UE et le Royaume-Uni. Pour éviter le risque de chaos dans les aéroports, l'UE a accepté d'accorder aux compagnies britanniques la permission temporaire d'opérer des vols vers les 27 Etats de l'Union jusqu'en mars 2020. Le Royaume-Uni envisage de faire la même chose pour les compagnies européennes.
Le même problème se pose pour l'Eurostar et les autres opérateurs ferroviaires du tunnel sous la Manche. Ils doivent eux aussi perdre leur autorisation de circuler en cas de «no deal», mais un accord a été trouvé entre l'UE et le Royaume-Uni pour que ces services continuent à fonctionner sans changement pendant trois mois. Malgré cela, le gouvernement britannique prévoit des retards dans les aéroports et les ports pour les touristes voulant traverser la Manche, en raison du renforcement des contrôles d'immigration.
Des hausses de prix des produits importés
En cas de «no deal», des droits de douane seraient appliqués sur les produits britanniques importés dans l'UE, et sur les produits européens exportés vers le Royaume-Uni, alors qu'ils en sont pour l'instant exonérés. Cela toucherait directement au porte-feuille les consommateurs, qui verraient les prix de ces produits mécaniquement augmenter.
Du côté du Royaume-Uni, dont environ la moitié des importations proviennent de l'UE, le gouvernement a annoncé que, pour «soutenir les emplois britanniques et éviter une potentielle flambée des prix qui affecterait durement les ménages les plus modestes», 87 % des importations en valeur ne seraient soumises à aucun tarif douanier en cas de Brexit sans accord, dont 82 % de celles en provenance de l'UE, pendant une période maximale de douze mois.
Par exemple, les droits de douane sur certaines productions alimentaires, dont le bœuf, l'agneau, le porc, la volaille et certains produits laitiers, seraient réduits, mais ne seraient pas supprimés, afin de protéger les producteurs britanniques de la concurrence étrangère. Des tarifs douaniers s'appliqueraient également sur le carburant, les fertilisants ou la céramique. Cela aurait donc tout de même un impact sur les consommateurs britanniques, car ces biens ne font l'objet d'aucune taxe actuellement lorsqu'ils proviennent de l'UE.
En revanche, pour les consommateurs européens, Bruxelles n'a pas annoncé de plan similaire. Ce qui signifie que les produits en provenance du Royaume-Uni pourraient être plus chers en cas de Brexit sans accord, si les entreprises de l'Union décident de répercuter le rétablissement des droits de douane sur le prix final. Le whisky et le saumon écossais seraient notamment concernés, tout comme certains produits vendus dans les magasins européens de la chaîne de grande distribution britannique Marks & Spencer. Les voitures fabriquées ou assemblées outre-Manche verraient aussi leur prix augmenter, telles que les Mini Clubman, Honda Civic, Opel Astra, Nissan Juke, Nissan Qashqai, ou encore les flottes de Land Rover et de Jaguar.
des pénuries de produits de première nécessité
Un Brexit sans accord pourrait provoquer «pénuries» et «graves perturbations» dans l'alimentation pendant des semaines voire des mois, a mis en garde début août sur la BBC Tim Rycroft, un responsable de la Food and Drink Federation, une organisation qui représente 7.000 entreprises du secteur. D'après le gouvernement britannique, quasiment 30 % de la nourriture consommée au Royaume-Uni en 2018 provient de l'UE. Sauf qu'en cas de «no deal», l'Union mettra en place immédiatement des contrôles douaniers, des inspections de sécurité alimentaire et des vérifications des normes européennes à sa frontière avec le Royaume-Uni, qui font craindre au pays des difficultés d'approvisionnement alimentaire.
Selon Tim Rycroft, les réserves que sont en train de se constituer les entreprises britanniques de l'agroalimentaire ne suffiront pas à faire face à ces pénuries, notamment car elles ne peuvent pas stocker les fruits et légumes. Ainsi, dans son rapport publié le 11 septembre, le gouvernement britannique alerte sur le fait que certains produits frais pourraient venir à manquer. Mais il se veut rassurant, en assurant qu'un Brexit sans accord «ne causera pas de pénurie générale de produits alimentaires au Royaume-Uni». Sauf si les consommateurs font des «achats de panique», prévient l'exécutif.
En dehors de l'alimentation, des pénuries de médicaments et de matériel médical sont également à craindre. En effet, environ trois-quarts des médicaments et la moitié des produits cliniques utilisés au Royaume-Uni proviennent ou transitent via l'UE, selon les chiffres du gouvernement britannique. Pour parer à toute éventualité, Londres, qui dispose habituellement de trois mois de stocks de médicaments, s'est constitué des réserves supplémentaires représentant six semaines. Résultat, les Britanniques ont peur de manquer de tout et ont donc déjà dépensé 4 milliards de livres (4,3 milliards d'euros) en produits de première nécessité (nourriture et médicaments notamment) pour se préparer à un éventuel «no deal», révèle une étude de la société financière Premium Credit, publiée le 12 août.
En sens inverse aussi, des médicaments pourraient venir à manquer dans l'UE, alertent les experts européens du secteur, le Royaume-Uni exportant chaque mois quelque 45 millions de boîtes de médicaments vers le reste de l’Union. «Malgré une préparation intensive de la part de l’industrie pharmaceutique pour chaque scénario, un Brexit sans accord risque de perturber l’approvisionnement en médicaments» dans toute l’UE, a ainsi déclaré à Reuters Andy Powrie-Smith, responsable de la Fédération européenne des industries et associations pharmaceutiques.
Des Frais téléphoniques et bancaires en hausse
Depuis le 15 juin 2017, les frais d'itinérance n'existent plus dans l'UE, ce qui signifie que les consommateurs européens voyageant dans un autre pays de l'Union n'ont plus à payer de surcoûts pour utiliser leur téléphone portable (appels, SMS, MMS, internet). Avec un Brexit sans accord, ces frais de «roaming» pourraient être rétablis pour les Britanniques en déplacement dans l'UE et pour les Européens franchissant la Manche ou la frontière irlandaise. En effet, les opérateurs mobiles seraient alors libres de réintroduire ces surcoûts, a averti le gouvernement britannique.
Des frais supplémentaires sont aussi à prévoir pour l'usage des cartes de paiement, que cela soit pour les clients britanniques en voyage dans l'UE ou les Européens se déplaçant outre-Manche. D'après Londres, les paiements pourraient également prendre «plus de temps» pour les Britanniques achetant des produits dans l'Union. Par ailleurs, au sein de l'UE, les clients des banques d'investissement basées au Royaume-Uni ne pourront plus faire appel à leurs services financiers. Mais de nombreux établissements ont mis en place des filiales sur le continent pour éviter ces perturbations.
Les Britanniques en vacances en Europe pourraient également devoir faire face à d'autres problèmes. Par exemple, être privés de l'accès à certains services de streaming, comme Netflix ou Spotify, car la réglementation sur la portabilité cesserait de s'appliquer, a prévenu le gouvernement britannique. Ils pourraient également devoir obtenir un permis de conduire international, car les leurs «pourraient ne plus être valables».