Un feuilleton qui dure. A quelques semaines du Brexit, fixé au 31 octobre, impossible de prédire son issue. Divorce sans accord ? Elections anticipées ? Second référendum ? Toutes les options semblent toujours sur la table.
Un Brexit sans accord
C'est l'hypothèse la plus redoutée, mais elle n'est pourtant pas écartée. Un Brexit sans accord, ou «no deal», pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le Royaume-Uni et l'Union européenne, tant du point de vue économique (contraction du PIB, hausse du chômage...) que sur la vie quotidienne des citoyens (perturbations dans les transports et risque de pénuries de nourriture et de médicaments notamment).
Malgré tout, le Premier ministre britannique Boris Johnson, élu fin juillet par les membres du Parti conservateur, n'exclut par ce scénario. Selon plusieurs diplomates européens cités par le Guardian, ce serait même l'option privilégiée par le nouveau dirigeant britannique, qui ferme la porte à un nouveau report du Brexit. Mais certains responsables européens affirment que ce serait plutôt une stratégie, destinée à forcer l'UE à accepter de renégocier l'accord de divorce, scellé par l'ancienne Première ministre Theresa May avec Bruxelles en novembre 2018. Sauf que, pour l'instant, les deux parties restent campées sur leurs positions, et leurs échanges sont même quasi inexistants depuis l'arrivée à Downing Street de Boris Johnson.
Pour renforcer la pression sur Bruxelles, le gouvernement britannique accélère depuis quelques semaines les préparatifs en vue d'un «no deal», «priorité absolue» de l'exécutif. Pour preuve, le Trésor britannique a annoncé au début du mois d'août que 2,1 milliards de livres (2,26 milliards d'euros) supplémentaires seraient alloués à la préparation d'un Brexit sans accord, doublant ainsi le budget consacré au divorce. Selon le Times, Boris Johnson travaillerait en parallèle sur un plan, appelé «opération Kingfisher», destiné à sauver les entreprises britanniques en difficulté en cas de «no deal».
Mais ce scénario pourrait rencontrer l'opposition du Parlement britannique, qui avait voté - de façon indicative - contre un Brexit sans accord à deux reprises en mars dernier. Boris Johnson pourrait dans ce cas choisir le passage en force, et décider de suspendre le Parlement, empêchant les députés de se prononcer. Une initiative qui risquerait toutefois de provoquer une grave crise politique, d'autant plus qu'un amendement a été voté en juillet, visant justement à empêcher le Premier ministre de se passer des parlementaires pour mettre en oeuvre un Brexit sans accord.
L'adoption d'un accord modifié
Même si ce scénario paraît improbable, il est possible que l'UE cède finalement devant l'obstination de Boris Johnson, et accepte de rouvrir les négociations sur l'accord de divorce, déjà rejeté à trois reprises par le Parlement britannique et jugé «inacceptable» par Boris Johnson. Une possibilité qu'ont jusque-là toujours exclue les responsables européens, dont le négociateur en chef de l'UE Michel Barnier. Mais certains dirigeants européens commencent à en avoir assez de ce dossier, qui pollue les affaires de l'Union depuis maintenant plus de trois ans. C'est le cas notamment d'Emmanuel Macron, qui a affirmé que la France était «le pays le plus prêt» en cas de «no deal».
Boris Johnson exige précisément la suppression de l'une des dispositions les plus controversées du traité de retrait : le «backstop» (ou «filet de sécurité»). Censé permettre d'éviter le retour d'une frontière physique entre l'Irlande et l'Irlande du Nord, il prévoit le maintien du Royaume-Uni dans une union douanière avec l'UE, dans le cas où aucune autre solution n'est trouvée. Ce mécanisme provoque l'ire des Brexiters les plus durs, qui craignent que leur pays reste arrimé indéfiniment à l'UE. Mais cette demande de «BoJo» a été jugée «inacceptable» par Michel Barnier.
Dans le cas où Boris Johnson obtient gain de cause, l'accord de sortie serait soumis au vote du Parlement britannique, qui a de grandes chances de l'approuver. Cela permettrait une sortie en douceur du Royaume-Uni de l'Union. En effet, dans cette hypothèse, une période de transition s'ouvrirait le 31 octobre prochain, qui pourrait durer jusqu'à fin 2022, durant laquelle quasiment rien ne changerait. Elle servirait à négocier les relations futures entre les deux parties, notamment sur le plan commercial, et, dans le cas où le «backstop» est aboli, à trouver une alternative à ce dispositif.
Des élections anticipées
Si l'UE refuse de renégocier et que les députés britanniques échouent à empêcher un Brexit sans accord par la voie législative, ces derniers disposent d'une dernière carte dans leur manche : l'organisation d'élections anticipées. A l'heure actuelle, il s'agit du scénario le plus probable. Le 14 août dernier, le leader de l'opposition travailliste, Jeremy Corbyn, a présenté son plan pour contrecarrer un «no deal». Il propose dans un premier temps de déposer une motion de censure «dès que possible» contre le gouvernement, sans doute début septembre, au retour de vacances des parlementaires. Certains membres du Parti conservateur de Boris Johnson, opposés à un Brexit sans accord, pourraient s'allier à leurs rivaux du Labour dans cette démarche.
Il n'est donc pas impossible que cette motion soit adoptée, car Boris Johnson ne dispose d'une majorité que d'une voix à la Chambre des communes. Mais plusieurs députés travaillistes ou indépendants pourraient ne pas voter cette motion, car opposés à un second référendum voulu par la direction du Labour. L'issue du scrutin est donc incertaine.
Si cette motion est approuvée par une majorité de députés, Boris Johnson disposera alors de 14 jours pour tenter de renverser la vapeur et rallier une majorité de soutiens au Parlement. Durant cette période, un autre membre de son Parti conservateur peut s'y essayer, de même que l'opposition travailliste. Si personne n'arrive à remporter un nouveau vote de confiance, des élections générales anticipées seront convoquées.
Mais cette option pourrait ne pas suffire à stopper un «no deal». En effet, Boris Johnson resterait tout de même maître de l'agenda. Il pourrait refuser de démissionner, le temps de mettre en oeuvre un Brexit sans accord, le 31 octobre, et convoquer des élections anticipées juste après la sortie de l'UE. Dans ce cas, les experts en droit affirment que la reine Elizabeth II pourrait sortir de sa réserve, et renvoyer elle-même Boris Johnson, une première pour un monarque britannique depuis 1834 selon Politico. «Mais elle ne pourrait le faire que si la Chambre des communes indique clairement qui devrait être nommé Premier ministre à sa place», précise au Guardian Robert Hazell, professeur à l'University College de Londres. Dans ce cas, la reine inviterait la personne choisie à former un nouveau gouvernement. Si Boris Johnson refuse toujours de s'en aller, le Royaume-Uni se trouverait alors dans un situation de «véritable crise constitutionnelle», selon un expert parlementaire interrogé par Politico.
Pour éviter de scénario, Jeremy Corbyn a une solution. Une fois la motion de censure contre l'exécutif conservateur déposée, il compte demander la confiance du Parlement en tant que dirigeant d'un «gouvernement temporaire, strictement limité dans le temps, avec l'objectif de convoquer des élections générales». Arrivé au pouvoir, il chercherait à obtenir de Bruxelles un nouveau report du Brexit, le temps d'organiser le scrutin et de façon à éviter un «no deal accidentel».
Par ailleurs, l'organisation d'élections anticipées pourrait également être à l'initiative de Boris Johnson lui-même. Il lui faudrait tout de même le soutien des deux tiers des députés pour mettre en oeuvre ce projet. Mais ce serait un vrai risque pour les Conservateurs, car, selon le dernier sondage de l'institut ComRes pour le Telegraph, les Tories recueillent 31 % des intentions de vote, juste devant le Labour à 27 %, le Parti du Brexit et les Libéraux-Démocrates étant à 16 %.
un Second référendum
L'hypothèse d'un second référendum sur le Brexit n'est pas écartée, mais elle paraît très peu probable dans la situation actuelle. En effet, le gouvernement de Boris Johnson n'adhère pas à cette idée, d'autant plus qu'elle nécessiterait sans doute un report du Brexit, le temps de préparer la consultation, ce qu'exclut fermement «BoJo».
En revanche, en cas d'élections anticipées remportées par les Travaillistes, la probabilité d'un nouveau référendum augmenterait considérablement. En effet, Jeremy Corbyn, pourtant eurosceptique notoire, a affirmé le 14 août que si un scrutin législatif était convoqué, son parti ferait campagne en faveur d'un nouveau référendum sur l'appartenance à l'UE, qui proposerait notamment «l’option de rester dans l’UE», et donc d’annuler le Brexit.
Des questions restent malgré tout en suspens sur la forme que pourrait prendre ce nouveau référendum. Sera-t-il légalement contraignant ou seulement consultatif, comme celui de juin 2016 ? Et quels seront les choix proposés aux électeurs ? Une question importante, car certains veulent que les électeurs aient seulement à choisir entre l'accord de sortie négocié par Theresa May fin 2018 ou le maintien dans l'UE, quand d'autres souhaitent ajouter à ces possibilités le «no deal».
Une autre possibilité ?
Même si Boris Johnson s'est engagé à mettre en oeuvre le Brexit le 31 octobre «sans condition», il pourrait être forcé par le Parlement de reporter une nouvelle fois le divorce, déjà repoussé deux fois. Il était d'abord fixé le 29 mars, puis le 12 avril, et désormais le 31 octobre. La nouvelle présidente de la Commission européenne, l'Allemande Ursula von der Leyen, s'est même dit «prête» à un nouveau report si le Royaume-Uni fournit de «bonnes raisons». Par ailleurs, si le plan échafaudé par Jeremy Corbyn devient réalité, un report du Brexit deviendrait plus que probable, car il fait partie du scénario imaginé par le leader de l'opposition pour empêcher un «no deal».
Dernière possibilité, qui ressemble fort à de la fiction, l'annulation pure et simple du Brexit. Une option néanmoins réalisable sur le papier, la Cour de justice de l'Union européenne ayant estimé, dans un arrêt rendu en décembre dernier, que le Royaume-Uni pouvait décider seul de renoncer à quitter l’Union, sans avoir besoin de l’aval des autres Etats membres.