Les sénateurs argentins ont rejeté jeudi la légalisation de l'avortement dans le pays du pape François, mettant un terme aux espoirs des organisations féministes, alors que le projet de loi avait été approuvé par les députés en juin.
Dans un pays sous forte influence de l’Église, historique et du fait que le pape est un Argentin, la majorité des sénateurs ont décidé de s'opposer au projet de loi. Trente-huit sénateurs ont dit «non» au texte prévoyant l'Interruption volontaire de grossesse (IVG) pendant les 14 premières semaines de grossesse, 31 ont voté en faveur et deux se sont abstenus, selon les résultats officiels.
Le vote a été accueilli par des feux d'artifice et des cris de joie parmi les militants anti-IVG rassemblés à Buenos Aires devant le Parlement, où se déroulaient les débats. A l'autre extrémité de la place du Congrès, les mines étaient dépitées, les larmes coulaient sur les visages des partisans de la légalisation de l'avortement.
Les pro-IVG étaient massivement rassemblés depuis mercredi matin aux abords du Congrès, brandissant les foulards verts, symbole des revendications d'avortement légal, libre et gratuit. Du côté des pro-IVG, une poignée de manifestants isolés ont incendié des palettes contre une des deux rangées de grilles séparant les deux camps et lancé des pierres sur les policiers anti-émeutes.
Le projet de loi qui légalise l'IVG au cours des 14 premières semaines de grossesse avait été adopté de justesse par les députés le 14 juin (129 voix pour, 125 contre).
Les sénateurs en Argentine, trois dans chacune des 24 province, sont généralement plus conservateurs que les députés, car ils représentent des régions moins développées que la capitale et la province de Buenos Aires, où les 40% des 41 millions d'habitants sont majoritairement favorables à l'IVG.
Ce sont les mouvements féministes qui ont donné ces deux dernières années un élan déterminant à la revendication du droit à l'avortement. Ces Argentines de tous les âges arborent fièrement un foulard vert, symbole de leur mobilisation pour l'IVG.
«Arriérés»
«L'avortement, c'est un droit, nous sommes vraiment des arriérés, nous en sommes encore à nous demander si c'est bien nécessaire de le légaliser, un demi-siècle après l'Angleterre», témoignait Camila Suarez, une étudiante en droit de 20 ans. Le Royaume-Uni a légalisé l'IVG en 1967. En Amérique latine, seuls deux pays, Cuba et Uruguay, autorisent l'IVG.
Amnesty International avait publié mardi dans 134 pays son soutien au projet de loi. Sur un fond vert, couleur symbole de la mobilisation des Argentines, on peut lire «adios» au dessus d'un cintre blanc, un objet longtemps utilisé pour pratiquer des avortements clandestins.
«Les complications liés aux avortements clandestins sont la première cause de mort de mères en Argentine. Les sénateurs peuvent changer ça», disait le texte d'Amnesty, avant de dire à l'adresse des parlementaires : «Le monde vous observe».
Depuis le Vatican, le pape avait donné le ton en exprimant à deux reprises le rejet de l'avortement.
«Les évêques ont joué un rôle-clé dans le travail de lobby sur les députés et les sénateurs en écrivant aux indécis, leur rendant visite dans leur bureau, et dans certains cas, en ayant des attitudes plus ou moins belligérantes avec les pro-IVG», estimait la sociologue Sol Prieto.
«Progéniteur exclu»
Certains sénateurs partisans du texte avaient reçu des boîtes avec des figurines en forme de foetus à l'intérieur, ou des menaces d'excommunication.
L'évêque argentin Alberto Bochatey, en première ligne dans le combat contre l'IVG, minimisait le rôle du pape dans ce débat. «Le pape est argentin mais il est au delà de tout ça, il ne va pas intervenir dans un débat sur une législation locale. Il critique l'avortement comme le fait l’Église».
«L'avortement, dit-il ensuite, ce n'est pas un sujet de féministes. Il y a aussi un progéniteur. Et cette loi l'exclut».