A deux ans de la fin de son mandat, le président ivoirien Alassane Ouattara a annoncé lundi une large amnistie pour favoriser la réconciliation nationale, annonçant la libération prochaine de l'ex-Première dame Simone Gbagbo et de deux ministres de l'ancien régime.
«J'ai procédé ce lundi à la signature d'une ordonnance d'amnistie qui bénéficiera à environ 800 concitoyens poursuivis ou condamnés pour des infractions en lien avec la crise post-électorale de 2010 ou des infractions contre la sûreté de l'Etat commises après le 21 mai 2011» (date de la prise effective de pouvoir d'Alassane Ouattara), a déclaré le président sur la télévision nationale, dans sa traditionnelle allocution à la veille de la fête de l'Indépendance.
«Environ 500 sont déjà en liberté provisoire ou en exil, et verront leurs condamnations pénales effacées. Il sera mis fin aux poursuites» contre eux. «Il en sera de même pour les 300 autres personnes détenues qui seront libérées prochainement», a annoncé M. Ouattara, sans donner de date.
Il a cité Simone Gbagbo, qui purge actuellement une peine de 20 ans de prison pour «atteinte à la sûreté de l'Etat» prononcée en 2015, l'ancien ministre de la Défense Lida Kouassi, détenu depuis 2014 et condamné début 2018 à 15 ans de prison pour «complot», ainsi que l'ancien ministre de la Construction Assoa Adou, condamné en 2017 à quatre ans de prison.
L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est quant à lui détenu à la Haye depuis sept ans par la Cour pénale internationale, qui le juge depuis 2016 pour crimes contre l'humanité, pour des faits remontant à la crise de 2010-2011, qui a fait 3.000 morts.
«Faille majeure»
La question de la réconciliation nationale en Côte d'Ivoire, après la décennie de crise politico-militaire des années 2000 qui a déchiré le pays, était considérée jusqu'à présent par les observateurs comme un point noir du bilan d'Alassane Ouattara, dont le régime est accusé par l'opposition d'avoir pratiqué une «justice des vainqueurs".
Dans un rapport confidentiel dont l'AFP a eu connaissance jeudi dernier, les ambassadeurs de l'Union européenne en Côte d'Ivoire qualifiaient la question de la réconciliation de «faille majeure» des sept ans de pouvoir du président Ouattara.
«La réconciliation nationale, si nécessaire dans ce pays longtemps divisé, et en dépit de la création d'une commission dédiée à ce sujet mais aux résultats vides de sens, semble avoir été sacrifiée sur l'autel de l'impunité et de l'amnésie», écrivaient les chefs de missions diplomatiques de l'UE.
Une inquiétude largement partagée en Côte d'Ivoire, qui fait craindre une possible résurgence de violence lors de l'élection présidentielle de 2020, tant les blessures de la crise sont encore vives.
Consacrant une partie importante de son discours de 18 minutes à ce thème, M. Ouattara a affirmé son «attachement à la paix et à une réconciliation vraie». L'amnistie est «une mesure de clémence de la Nation toute entière». «J'invite tous (ses) bénéficiaires à faire en sorte que notre pays ne revive plus jamais de tels événements et ne sombre plus jamais dans la violence», a-t-il insisté.
«Une soixantaine de militaires ayant commis des crimes de sang ne pas concernés» par cette amnistie, a-t-il précisé.
Réforme de la commission électorale
Il a annoncé aussi la libération de Souleymane Kamaraté (dit «Soul to Soul»), chef du protocole du président de l'Assemblée Nationale Guillaume Soro, emprisonné l'an dernier après la découverte d'une cache d'armes dans une de ses maisons, une affaire qui avait fait grand bruit.
Evoquant les prochaines élections, Alassane Ouattara a dit avoir demandé au gouvernement de «réexaminer la composition de la Commission électorale indépendante», une pomme de discorde depuis des années entre le régime et l'opposition, qui juge cette instance partiale. Un avis d'ailleurs partagé par la Cour africaine des droits de l'Homme. Une partie de l'opposition exige la réforme de cette Commission pour participer aux élections. Les prochaines, municipales et régionales couplées, sont prévues le 13 octobre.
Sensible aux critiques sur son régime, le président Ouattara a par ailleurs promis de «renforcer les programmes sociaux dès septembre» et d'«intensifier la lutte contre la corruption». Les fruits de la forte croissance économique du pays depuis 2011 sont en effet jugés inégalement partagés et largement captés par une «élite» politico-économique.
Evoquant en conclusion de son discours la présidentielle de 2020, qui focalise déjà toutes les attentions, Alassane Ouattara a répété qu'il fallait «travailler à transférer le pouvoir à une nouvelle génération», mais sans dire clairement qu'il ne serait pas candidat pour un troisième mandat, prohibé par la constitution.