Certains évoquent le vol de 300 vaches, d'autres le meurtre de cinq Peuls par de jeunes chrétiens... L'origine des violences du week-end dernier, où au moins 200 personnes ont été massacrées dans le centre du Nigeria, restent floues. Tout comme l'identité des assaillants.
Seule certitude, confirmée à l'AFP par de multiples témoignages d'habitants ainsi que par des responsables militaires et policiers, ces attaques, menées samedi peu avant la nuit sur une douzaine de villages de l'Etat du Plateau, étaient extrêmement bien organisées et coordonnées.
Les groupes criminels sont arrivés à pied par centaines des collines environnantes, armés de kalachnikovs et de machettes. La plupart portaient des «vêtements noirs traditionnels», certains avaient le visage camouflé par un foulard, tandis que d'autres étaient équipés de «gilets par balles».
Alertés par les premiers tirs et les appels au secours des habitants, «nos hommes sont arrivés sur place et ont essuyé le feu des assaillants», explique le major Umar Adam, porte-parole de l'opération militaire Safe Heaven dans la région.
«Nous avons pu les repousser, mais nous avons reçu des informations selon lesquelles d'autres communautés étaient attaquées dans les environs», explique-t-il.
Si les villageois ont tous formellement désigné comme coupables des éleveurs «à la peau claire», qui parlaient entre eux fufulde, la langue peule, le major Adam refuse de dévoiler davantage de détails sur «ces hommes armés non-identifiés», dont trois ont été arrêtés le jour-même. L'enquête doit suivre son cours, selon lui.
La question ethnique et religieuse, attisée par celle de l'accès à la terre, est au coeur de ces nouvelles violences, qui s'inscrivent dans un cycle sans fin de représailles entre communautés agricoles dites indigènes, majoritairement chrétiennes, et nomades peuls musulmans décrits par les premières comme des «envahisseurs» venus accaparer les ressources.
Le cocktail est explosif : au fil des décennies, les transhumants et leurs cheptels venus du Sahel en quête d'eau migrent davantage vers le sud, où la densité de population tout comme les surfaces cultivées ont considérablement augmenté sous l'effet de l'explosion démographique, dans le pays le plus peuplé d'Afrique avec 180 millions d'habitants.
Ce conflit ancestral s'est intensifié au cours des dernières décennies dans toute la ceinture centrale du Nigeria, constituée de vastes plaines fertiles, et a déjà fait plus de 1.000 morts depuis janvier, selon Human Rights Watch.
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Paix fragile
L'Etat du Plateau, théâtre d'affrontements interreligieux particulièrement sanglants dans les années 2000, avait pourtant renoué avec une paix fragile.
«Il faut remonter quatre ou cinq ans en arrière pour trouver une attaque avec un bilan aussi élevé», relève le politologue Chris Ngwodo, basé à Jos, la capitale régionale.
Nées en 2001 à Jos, bastion historiquement disputé par de nombreux mouvements radicaux chrétiens et musulmans, les tensions se sont progressivement étendues aux zones rurales.
Elles ont culminé en 2008, où une série d'attaques et d'émeutes populaires ont débouché sur près de 800 morts en quelques jours, puis en 2010, avec plus de 1.000 personnes massacrées de janvier à mars.
Les efforts de réconciliation et de dialogue lancés par le gouverneur actuel du Plateau, Simon Lalong, et des ONG avaient permis d'apaiser les esprits et de trouver des mécanismes de résolution des conflits : par exemple en accordant une compensation financière en cas de vol de bétail ou faisant travailler ensemble les différentes communautés dans des mines d'étain.
Les tueries de samedi et leur extrême violence, dirigée essentiellement contre des agriculteurs chrétiens, ont réveillé les haines et de douloureux traumatismes dans le district de Barakin Ladi.
De nombreuses personnes ont été brûlées vives dans leur maison et les assaillants n'ont pas hésité à s'en prendre à de très jeunes enfants. A l'hôpital universitaire de Jos, où ont été évacués les blessés, une petite fille de trois ans a le cou balafré de coups de machette.
Sur le lit d'à côté, la jeune Plangnam Danjuma, 8 ans, a reçu une balle dans l'épaule droite et raconte comment un voisin a tenté de lui sauver la vie : «Quand les gens ont commencé à fuir, il m'a cachée dans une maison avec trois autres enfants, mais ils l'ont vu et l'ont abattu. Ensuite ils ont tiré sur nous. Je suis la seule à avoir survécu», dit-elle.
Chômage record
Il est difficile d'analyser les ressorts de ce nouveau pic de violences, dans ce «conflit à strates multiples» mêlant religion, ethnicité, mais aussi forte augmentation de la criminalité organisée et instrumentalisation politique des rancoeurs, souligne Chris Ngwodo.
A moins d'un an de la prochaine présidentielle au Nigeria, le président Muhammadu Buhari, lui-même peul originaire du nord, est très critiqué et ses adversaires politiques, déjà en campagne, n'hésitent pas à alimenter le sentiment anti-peul.
Dans les médias et sur les réseaux sociaux nigérians, les «unes» comme «Les Peuls pires que Boko Haram», le groupe d'insurgés jihadistes, sont devenues la norme et des messages haineux circulant quotidiennement sur WhatsApp.
Alors que le chômage des jeunes atteint des records et que la circulation des armes a explosé en provenance de la bande sahélienne depuis la guerre en Libye, «on assiste à un effondrement généralisé de l'ordre public, avec certains territoires complètement livrés au banditisme», ajoute le chercheur.
L'incapacité des forces nigérianes à arrêter les criminels et les bandes armées, plus l'impunité générale, n'arrangent rien : «Si les coupables ne sont pas arrêtés et punis, les gens se font justice eux-mêmes», ajoute M. Ngwodo.