«Ils nous ont coupé l'eau (...) on va mourir de soif ou tomber malade» : Almas est venue se réfugier à Afrine mais les forces de l'offensive turque s'enfoncent davantage dans l'enclave kurde syrienne et tentent maintenant d'étouffer son chef-lieu.
Observateurs et ONG se disent inquiets face à l'éventualité d'un siège ou un assaut sur cette ville d'environ 350.000 habitants, qui manquent d'eau et d'électricité et se ruent désormais sur les marchés pour s'approvisionner en pain, lait ou boîtes de conserve.
L'armée turque s'est emparée ces dernières semaines du principal barrage de la région d'Afrine, coupant les vannes de cette importante source d'eau qui desservait la région.
«Nous avons peur que les forces turques entrent» dans la ville d'Afrine, affirme Almas, une jeune femme de 23 ans originaire de Rajo, localité située à la frontière syro-turque et tombée aux mains de l'armée turque.
Les bombardements ont également privé la ville d'électricité et de communications. L'accès à internet est quasiment impossible.
Dans une rue d'Afrine, Midia Mohammad (20 ans) tente de capter le réseau en passant d'un coin à l'autre.
«Nous nous sommes approvisionnés en riz, sucre, boîtes de conserve, lait infantile et médicaments», ajoute la jeune femme réfugiée à Afrine après avoir fui Jandairis, récemment capturé par les forces turques.
«Situation catastrophique»
Des milliers d'habitants de l'enclave d'Afrine ont dû fuir depuis fin janvier leurs villes et villages pour venir se réfugier dans son chef-lieu, jusque-là relativement épargné.
Les familles fraîchement débarquées se partagent d'étroites habitations, tandis que certaines vivent dans des sous-sol ou dans des structures désaffectées ou inachevées, des jardins publics, voire même dans leurs camions ou voitures.
«La nourriture manque, les voisins nous donnent à manger», raconte Soultana, une femme de 57 ans ayant également fui la région de Rajo.
«Que veulent-ils encore nous prendre ? Les poules, les couches de nos enfants ?», ajoute la quinquagénaire. «Nous n'avons pas peur, nous n'abandonnerons pas Afrine et nous reviendrons un jour chez nous».
Depuis le début de l'offensive turque, un unique convoi d'aides humanitaires a pénétré dans l'enclave, transportant de la nourriture et des fournitures médicales pour 50.000 personnes.
«La situation humanitaire est catastrophique en dépit de nos efforts», reconnaît la coprésidente du Conseil exécutif d'Afrine, Heve Moustafa.
«Il y a un manque énorme de personnel médical, de médicaments, d'équipements médicaux. Parfois, des blessés meurrent à cause de ces pénuries», souligne-t-elle.
«Rapport de forces inégal»
«L'administration semi-autonome n'a ni les capacités ni l'expérience suffisante pour faire face à une telle crise», avoue, de son côté, Rezan Hedo, un responsable média à Afrine auprès de la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), considérée comme «terroriste» par Ankara.
Au plan militaire, les combattants kurdes ont fait preuve de ténacité mais font face pour la première fois à une offensive aussi féroce. S'ils ont été bien équipés par l'armée américaine pour combattre les jihadistes de Daesh en Syrie, ils ne disposent pas de défense anti-aérienne pour repousser les avions turcs.
Ils ont ainsi sollicité le soutien du régime syrien qui a déployé un nombre limité de combattants sur plusieurs fronts dont au moins 70 ont été tués dans l'offensive turque. Ils ne disposent pas non plus de systèmes de défense anti-aérienne.
Sur le champ de bataille, «les YPG ont résisté pendant 50 jours mais au final, ce sont des jeunes (...) ils sont fatigués», avoue Rezan Hedo.
«Le rapport de forces est inégal : les forces turques ont des avions, sont largement plus nombreuses que les YPG et sont mieux armées», ajoute-t-il.
Quelque 1.700 combattants arabes et kurdes, basés jusque-là dans l'est de de la Syrie, ont été redéployés début mars à Afrine pour venir en aide à leurs frères de combat.
Mais en dépit de ces renforts, le responsable au sein de la milice des YPG dit craindre un «grand massacre» si les forces turques entrent dans la ville d'Afrine.
«Nous n'avons pas d'allié stratégique (...) La coalition internationale nous a utilisés comme outil" pour la lutte anti-Daesh, conclut-il. "Elle nous a laissé tomber».