Le président français Emmanuel Macron plaidera jeudi soir auprès de ses homologues de l'UE en faveur d'une politique commerciale européenne plus transparente et protectrice, un positionnement qui fait grincer des dents à Bruxelles.
M. Macron s'inquiète de voir la Commission européenne, compétente au nom des 28 en matière commerciale, "se précipiter" dans la négociation de certains accords de libre-échange au mépris d'une opposition populaire grandissante. Il a expressément demandé à prendre la parole sur le sujet jeudi soir lors d'un dîner entre les 28 chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE, programmé dans le cadre d'un sommet de deux jours à Bruxelles.
Le débat pourrait être animé, certains dirigeants considérant la vision du Français sur le commerce comme trop protectionniste. "Je n'aime pas l'approche de principe selon laquelle nous devrions ralentir les négociations de libre-échange. Ce n'est pas notre position. Nous avons besoin d'accords commerciaux", a ainsi déclaré jeudi matin à l'AFP le Premier ministre suédois Stefan Löfven.
"Dès que l'on parle de politique commerciale, deux camps se dessinent automatiquement" parmi les Etats membres, résume une source européenne. Au nord de l'Union, les défenseurs du libre-échange, appuyés par la Commission européenne; au sud, les tenants d'une politique commerciale désormais plus protectrice, la France en tête.
"Il est totalement vain d'envisager une réconciliation des Européens, ou en tout cas des Français, avec l'Europe, si cette Europe n'assume pas son rôle protecteur", explique une source diplomatique.
Le Mercosur inquiète
Les traités de libre-échange de l'UE sont la cible depuis plusieurs années d'une vive contestation de la part d'ONG, d'organisations syndicales ou de représentants politiques, qui les accusent de négliger l'environnement, la santé ou les normes sociales.
Confrontée à cette résistance, l'UE a ainsi eu toutes les peines du monde à faire progresser l'accord avec le Canada, le CETA, finalement entré en application provisoire fin septembre, mais qui reste à tout moment susceptible d'être remis en cause par le rejet éventuel d'un des parlements nationaux de l'UE.
"Nous ne pouvons pas donner à nos concitoyens, qui sont parfois légitimement inquiets de l'ampleur et des conséquences de ces accords, le sentiment que nous ne les écoutons pas", a insisté lundi le Premier ministre français, Edouard Philippe, en visite à Bruxelles.
L'inquiétude de Paris est d'autant plus grande que l'UE a accéléré son agenda commercial au cours des derniers mois, en particulier avec des pays susceptibles de concurrencer son agriculture.
Bruxelles a ainsi relancé les discussions avec le Mexique, mais aussi le Mercosur --qui regroupe plusieurs pays d'Amérique du Sud--, avec qui elle est prête à faire des concessions sur le boeuf et l'éthanol dans l'espoir d'élargir les débouchés pour ses automobiles.
La Commission a parallèlement annoncé l'ouverture prochaine de discussions avec deux autres pays où l'agriculture joue un rôle majeur: l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Défiance de Trump
S'ajoute à cela une jurisprudence récente de la justice européenne qui semble laisser la possibilité à Bruxelles de conclure seule, c'est-à-dire sans ratification des parlements nationaux, ses futurs traités commerciaux. Une brèche dans laquelle est prête à s'engouffrer la commissaire au Commerce, la libérale Cecilia Malmström, pour éviter que les accords de l'UE ne rencontrent les mêmes difficultés que le CETA.
Mme Malmström entend aussi tirer profit de la défiance du président américain Donald Trump envers les traités de libre-échange pour multiplier les accords. Entre la Suédoise, qui veut accélérer, et M. Macron, le pied sur la pédale de frein, le président de la Commission Jean-Claude Juncker tente de jouer les médiateurs.
"Je ne voudrais pas que nos concitoyens considèrent tout accord commercial comme un attentat contre nos principaux intérêts", a encore déclaré M. Juncker lundi. "Poussée par les services de Juncker", selon une source à la Commission, Mme Malmström vient de présenter un texte destiné à renforcer la coopération dans l'UE en matière de contrôle des investissements étrangers, notamment chinois, qui répond à une demande directe d'Emmanuel Macron.
Ce texte de compromis, à la portée limitée, a été salué par l'Elysée. Mais il pourrait ne pas survivre à l'hostilité de certains pays comme la Suède, l'Irlande ou la Finlande.