La chef du gouvernement birman Aung San Suu Kyi a dénoncé mercredi l'«iceberg de désinformation» donnant selon elle une vision trompeuse de la crise des musulmans rohingyas, qui alarme les Nations unies.
C'est le premier commentaire officiel, depuis le début des troubles fin août de la Prix Nobel de la paix, très critiquée à l'étranger pour son silence sur le sort de cette minorité musulmane, qui fuit par dizaines de milliers au Bangladesh.
La compassion internationale à l'égard des musulmans rohingyas est le résultat d'un «énorme iceberg de désinformation créé pour générer des problèmes entre les différentes communautés et promouvoir les intérêts des terroristes», a-t-elle déclaré lors d'un échange téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier a à plusieurs reprises condamné la réponse du gouvernement birman à cette crise, parlant de «génocide» dans cette région du nord-ouest de la Birmanie, l’État Rakhine.
Une accusation rejetée par Aung San Suu Kyi, qui a toujours défendu l'action de l'armée, et affirmé que son pays fait «en sorte que tous les habitants voient leurs droits protégés». «Nous savons bien mieux que d'autres ce que c'est que d'être privés de droits et de protection démocratique», a-t-elle ajouté, dans une allusion à ses années de lutte contre la junte militaire et d'assignation à résidence.
Les violences ont commencé par l'attaque le 25 août de dizaines de postes de police par les rebelles de l'Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA), qui dit vouloir défendre la minorité rohingya.
Depuis, l'armée birmane a déclenché une vaste opération dans cette région pauvre et reculée, l’État Rakhine, poussant des dizaines de milliers de personnes sur les routes. Bilan selon l'armée birmane : 400 morts, quasiment tous des musulmans.
Jusqu'à présent, les Rohingyas n'avaient presque jamais recouru à la lutte armée. La donne a changé en octobre 2016 avec les premières attaques de l'ARSA.
Cinq enfants retrouvés noyés mercredi
D'après les organisations humanitaires, outre les 125.000 réfugiés au Bangladesh depuis le 25 août, des milliers de personnes seraient en route et certaines toujours bloquées à la frontière. Mercredi, les corps de cinq enfants noyés dans le naufrage de leur bateau se sont échoués côté Bangladesh.
D'après les autorités de ce pays, trois ou quatre embarcations ont coulé à l'embouchure du fleuve Naf, qui marque une frontière naturelle entre la Birmanie et la pointe sud-est du Bangladesh.
Montée du nationalisme bouddhiste
Depuis des décennies, la minorité musulmane des Rohingyas, qui compte environ un million de personnes, est victime de discriminations en Birmanie. Considérés comme des étrangers au sein de la Birmanie, pays à plus de 90% bouddhiste, les Rohingyas sont apatrides, même si certains vivent dans ce pays depuis des générations. Ils n'ont pas accès au marché du travail, aux écoles, aux hôpitaux. Et la montée du nationalisme bouddhiste ces dernières années a attisé l'hostilité à leur encontre, avec des affrontements meurtriers.
Une situation qui rendait le silence d'Aung San Suu Kyi inacceptable à l'étranger.
Prenant la tête des protestations internationales, la jeune prix Nobel de la paix Malala Yousafzai avait critiqué lundi la gestion du drame par la Birmanie évoquant «le traitement honteux dont font l'objet les Rohingyas». «En dépit des appels répétés à Mme Aung San Suu Kyi, nous ne pouvons qu'exprimer notre frustration devant le fait qu'elle n'a pris aucune initiative pour défendre les droits des Rohingyas et leur assurer la citoyenneté», avaient écrit fin décembre 2016, dans une lettre, une douzaine d'anciens prix Nobel.
Certains analystes estiment qu'elle est impuissante face à la montée des bouddhistes extrémistes et face à une armée qui reste très forte y compris politiquement dans un pays qui fut pendant près de cinquante ans une dictature militaire.
Après une enquête sur la précédente flambée de violence, l'ONU avait dénoncé la vaste entreprise de répression «généralisée et systématique» menée essentiellement par l'armée à l'encontre des Rohingyas. Les Nations Unis estimait que cela avait abouti à un «nettoyage ethnique» et «très probablement» à des crimes contre l'humanité.