Avec Fidel Castro disparaît un des tout derniers géants politiques du 20e siècle, un autocrate paternaliste qui a fait d'une petite île des Caraïbes un acteur du bras de fer entre superpuissances américaine et soviétique, avant de s'éloigner du pouvoir pour des raisons de santé.
"Jamais je ne prendrai ma retraite de la politique, le pouvoir est un esclavage et je suis son esclave", affirmait celui qui a défié son grand voisin du Nord durant un demi-siècle avant de prendre du recul à partir de 2006.
Autocrate impitoyable
Car avec le temps, le "Barbudo" de 32 ans qui avait renversé en 1959 la dictature du général Fulgencio Batista et incarné les espoirs de la gauche révolutionnaire s'est transformé en un autocrate impitoyable avec son opposition, régnant sur Cuba en père de famille. "Invincible patience. Discipline de fer. La force de l'imagination lui permet de vaincre l'imprévu", écrivait de lui en 2008 son ami, le prix Nobel de littérature colombien Gabriel Garcia Marquez, décédé en avril 2014 à 87 ans.
Ses opposants ne manquent pas de qualificatifs non plus : dictateur, mégalomane, autoritaire, "un monstre d'égoïsme, cynique et sans morale" pour son ancien ami, le journaliste Norberto Fuentes, devenu un de ses plus féroces critiques.
Dernière figure du communisme
Dernier survivant de la Guerre froide, il a déjoué tous les pronostics en parvenant à maintenir sur pied le seul régime communiste du monde occidental, malgré l'implosion de l'Union soviétique. Au prix de lourds sacrifices de la population, soumise dans les années 90 à une "période spéciale en temps de paix" synonyme de terribles pénuries, et sans jamais concéder le moindre assouplissement politique de son régime.
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Fils d'un immigrant espagnol, cet ancien élève des jésuites est entré dans l'Histoire les armes à la main en tentant à 27 ans de s'emparer en juillet 1953 de la deuxième place militaire du pays, la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba (sud-est), avec une centaine de conjurés. L'échec de l'opération, qui vaudra prison et exil au jeune avocat, ne ruine en rien sa détermination.
Amnistié et libéré, il lance trois ans plus tard une guérilla de vingt-cinq mois qui mettra à bas la dictature de Batista et donnera la victoire à ses "barbudos" en janvier 1959. Dès lors, à moins de 200 km des États-Unis, il incarne en pleine Guerre froide une Révolution qui ne tarde pas à afficher ses sympathies pour Moscou.
John F. Kennedy, le deuxième des 11 présidents américains qu'il aura défiés, fait débarquer les anticastristes dans la baie des Cochons en 1961 : cuisante défaite américaine, Fidel Castro devient un héros, un David socialiste qui va faire du combat contre le Goliath impérialiste son cheval de bataille.
L'image du révolutionnaire
Orateur intarissable devant les foules, son image fait le tour du monde : cigare, barbe, treillis et casquette le font entrer au Panthéon des révolutionnaires, aux côtés de Lénine et Mao. Nikita Khrouchtchev en fait son poulain et croit pouvoir installer des missiles nucléaires à Cuba : la "crise des missiles" d'octobre 1962 met le monde au bord de l'apocalypse.
L'accord conclu entre les deux Grands laisse Fidel Castro amer et humilié de n'avoir pas été consulté. Il se fait alors l'instigateur des guérillas tiers-mondistes, défiant Washington, mais aussi le Kremlin à l'occasion, tandis que son compagnon d'armes Ernesto "Che" Guevara le quitte pour une mission impossible en Bolivie où il trouve la mort en 1967.
Plus visionnaire que gestionnaire, Fidel Castro fait table rase en 1968 des dernières survivances du capitalisme cubain. Désormais, Cuba est solidement arrimée à l'URSS et en 1975, Fidel Castro lance ses troupes au-delà de l'Atlantique pour une aventure africaine de quinze ans, sur les champs de bataille d'Angola et d'Ethiopie.
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Contraint par la chute de son protecteur soviétique à de timides concessions au capitalisme dans les années 1990, il reviendra dessus dès l'alliance trouvée avec Hugo Chavez, le président vénézuélien décédé en 2013 qui a brandi pendant quelques années la flamme d'un nouveau "castrisme".
Même désabusée, une large partie de la population reste "fidéliste", attachée notamment aux deux vitrines sociales du régime : santé et éducation. Et c'est toujours d'une main de fer qu'il fait impitoyablement taire toute opposition, emprisonnée ou exilée.
Un "soldat des idées"
Le 21e siècle n'est pas le sien. A partir de 2001, une série d'incidents de santé viennent le rappeler à l'ordre. En juillet 2006, une lourde opération chirurgicale le force à abandonner le pouvoir à son frère cadet Raul, son indéfectible bras droit et ministre de la Défense depuis 1959. En février 2008, la passation de pouvoir est officielle.
Le Commandant-en-chef Fidel devient un "soldat des idées" et se contente dès lors de publier ses "réflexions" dans la presse cubaine et de recevoir quelques personnalités en visite.
Aussi flamboyant sur la scène publique que secret sur sa vie privée, Fidel Castro a eu au moins huit enfants, dont cinq fils avec Dalia Soto del Valle, la discrète femme auprès de laquelle il a vécu jusqu'à sa mort.
En avril, à la clôture du Congrès du parti communiste cubain, il avait admis, la voix tremblante : "Bientôt j'en aurai fini comme tous les autres. Notre tour viendra, à tous". Il avait aussi évoqué le legs du communisme cubain, au moment où l'île est engagée depuis fin 2014 dans un rapprochement historique avec l'ex-ennemi américain. Un virage diplomatique opéré par son frère et qu'il n'a jamais remis en cause, même s'il n'a eu de cesse de rappeler sa méfiance vis-à-vis de Washington.