Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
De quelque côté que l’on se tourne, cette rentrée n’est guère rassurante. Elle se caractérise par la montée des populismes, la tentation protectionniste et l’amplification de la menace terroriste. Ces trois facteurs conjugués menacent la démocratie libérale. L’expression la plus brutale de la pression populiste, très présente en Europe, est venue des Etats-Unis au début de l’été, avec la désignation de Donald Trump comme candidat du Parti républicain. Celui qui se présente comme l’héritier de Ronald Reagan – à tort, car ce dernier avait opéré des régularisations massives de travailleurs clandestins, pour la plupart Latino-Américains – prétend ériger un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, mais aussi renvoyer «chez eux» onze millions de personnes sans-papiers qui vivent et travaillent aux Etats-Unis.
Le rejet de l’immigration, intra-européenne cette fois, a été au cœur du vote des Anglais en faveur du Brexit. Après une campagne qui a déclenché une série d’agressions, dont la dernière a provoqué la mort d’un jeune Polonais lynché par des jeunes gens qui lui reprochaient de parler polonais. Les slogans xénophobes, la stigmatisation, la tactique du bouc émissaire employés pour gagner des voix ne sont jamais sans conséquences.
Sur le continent, la crainte de l’afflux des réfugiés sert de prétexte à la démarche de certains gouvernements de l’ancienne Europe de l’Est, consistant à réduire les libertés. Ceux-là (Hongrie, Pologne, Slovaquie) se disent «illibéraux» et regardent l’autoritarisme de Vladimir Poutine comme un modèle à suivre.
En Allemagne, qui s’était jusqu’alors distinguée par la générosité de sa politique d’accueil des réfugiés, marquée par une forte mobilisation de la population elle-même, la montée de l’AfD (parti «pour l’Allemagne») inquiète et provoque de fortes tensions au sein même du parti de la chancelière, pressée de changer de politique.
En Italie, le mouvement «Cinq étoiles», malgré un énième scandale qui touche la nouvelle municipalité de Rome qu’il contrôle, continue de faire figure de principale force d’opposition au gouvernement, pourtant mesuré et prudent de Matteo Renzi.
Enfin, en France, le Front national doit au rejet de l’immigration, auquel se mêle l’hostilité à l’islam, de continuer sa montée en puissance. Celle-ci, au sein d’une droite en pleine préparation de la primaire en vue de la présidentielle, nourrit une possible surenchère.
Dans ce contexte, réapparaît une autre tentation, tout aussi redoutable, celle du protectionnisme. «Le protectionnisme, c’est la guerre !», disait François Mitterrand. Aux Etats-Unis, Donald Trump promet de ré-ériger des barrières douanières ; et Hillary Clinton elle-même prend ses distances avec les différents traités de libre-échange – avec l’Asie, avec l’Europe – construits et souhaités par Barack Obama. La Grande-Bretagne, si le Brexit s’accomplit, est au seuil d’un renversement historique puisqu’elle s’était convertie au libre-échange et avait renoncé au protectionnisme en 1846.
Le protectionnisme conduit tout droit au nationalisme, déjà à l’œuvre en Russie et en Chine, assorti comme toujours de menaces militaires (en Ukraine, en mer de Chine). Dans nos pays, la cible toute désignée est… l’Union européenne. La seule organisation qui nous a permis, grâce à la BCE, de sortir de la crise et qui bataille aujourd’hui en notre nom pour faire reculer la fraude fiscale opérée par les géants américains comme Apple.
Plus que jamais, la passion l’emporte sur la raison. Quant à la menace terroriste, elle fait craindre, notamment en France, que l’opinion glisse d’une demande d’autorité vers une aspiration à un régime autoritaire. Comme toujours dans les périodes troublées, la démocratie libérale, l’Etat de droit, sont les premiers menacés.
Jean-Marie Colombani