Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
Ce qui paraissait être une perspective loufoque est en train de devenir réalité : la désignation de Donald Trump comme candidat du parti républicain à l’élection présidentielle américaine du 4 novembre prochain. Certes, le processus n’est pas achevé. De nombreux Etats vont encore se prononcer ; ainsi demain l’Illinois, l’Ohio, la Caroline du Nord et surtout la Floride. Ce n’est pas le nombre d’Etats gagnés qui importe mais le nombre de délégués. Chaque Etat dispose d’un quota de délégués attribués selon deux systèmes différents : les uns respectent la règle proportionnelle, les autres (comme la Floride) donnent tous leurs délégués à celui qui arrive en tête.
Pour être désigné par la convention du parti qui se réunira cet été, il faut avoir une majorité de délégués (soit un peu plus de 1 200). Donald Trump a, pour le moment, parcouru la moitié du chemin. Et il paraît de moins en moins possible qu’un autre des candidats républicains en lice – le sénateur du Texas, Ted Cruz ou celui de la Floride, Marco Rubio – puisse combler son retard sur Donald Trump.
Perspective loufoque car chacun des meetings du candidat Trump ressemble davantage à un divertissement, à un épisode de télé-réalité «trash», qu’à une réunion politique. «Donald Trump appartient à ces gens que nous connaissons aussi en Europe, qui ont sur n’importe quel sujet un bouc émissaire mais jamais une solution concrète», résume Martin Schulz, le président du Parlement européen,
La démagogie et l’extrémisme de Donald Trump sont dangereux. Ce qui est en jeu, c’est le destin de la première puissance mondiale à qui il est proposé, par exemple, de se retrancher derrière un mur pour empêcher les Mexicains, présentés comme «des trafiquants de drogues et des violeurs» de passer ; ou d’instaurer des barrières douanières extravagantes. Bref, isolationnisme et protectionnisme. Souvenons-nous de François Mitterrand : «Le protectionnisme, c’est la guerre !» Il serait donc demandé à ce grand pays et à ce grand peuple de se reconnaître dans des propos idiots, sexistes, racistes et xénophobes. Donald Trump lui-même aime dire que son succès vient de ses excès : n’a t-il pas proclamé que s’il lui arrivait de «descendre quelqu’un dans la rue», il gagnerait de nouveaux électeurs !
Peut-être a-t-il raison car l’image mensongère qu’il répand de lui ne fait pas obstacle à sa fulgurante percée. Il se présente comme un «self-made man» ; il est l’héritier de la fortune de son père. Il vante ses succès d’entrepreneur : il a plusieurs fois fait faillite. Il se dit indépendant en assurant qu’il finance seul sa campagne électorale. Il n’a investi personnellement que 250 000 dollars mais a emprunté près de 20 millions…
Reste bien sûr l’enjeu essentiel : l’élection présidentielle elle-même. En face, la convention démocrate devrait, selon toute vraisemblance, désigner Hillary Clinton malgré les performances parfois spectaculaires du sénateur du Vermont, Bernie Sanders. Là où l’élection de Donald Trump apparaîtrait comme un facteur de désordre, celle de l’ancienne secrétaire d’Etat fait figure de retour, à l’intérieur, à une ligne «arc-en-ciel», à l’écoute de toutes les minorités et, à l’extérieur, de fidélité aux alliances de l’Amérique.
Mais la candidature d’Hillary Clinton est aussi entre les mains du FBI (la police fédérale), qui enquête sur une obscure histoire d’utilisation, par Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat, de son mail privé et de ses propres serveurs pour des affaires de diplomatie et de secrets d’Etat. Si elle devait être inculpée, elle ne pourrait plus briguer l’investiture démocrate et le match serait joué. Personne en effet n’accorde la moindre chance à un candidat, Bernie Sanders, se réclamant du socialisme face au démagogue Trump.
Jean-Marie Colombani