Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
L’assassinat aux cris de «Britain first» de la députée travailliste Jo Cox dans sa circonscription du nord de l’Angleterre, tandis qu’elle faisait campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne, rappelle de façon tragique que la politique n’est pas un jeu. Le vocabulaire employé et la tonalité d’un débat ne sont jamais sans conséquences.
Attiser les passions plutôt que de s’appuyer sur la raison peut ouvrir des vannes que plus personne ne peut refermer. Il ne s’agit pas de dire que la campagne des partisans du Brexit (la sortie de l’Union) a armé le bras de l’assassin présumé, proche d’un mouvement américain néonazi. Mais les analystes outre-Manche ont souligné le caractère caricatural et outrancier d’une campagne inspirée par Ukip (parti de l’indépendance) dont l’affiche montre une Angleterre submergée par une foule de réfugiés syriens. «Non, non», a aussitôt protesté Boris Johnson, l’ancien maire de Londres, aujourd’hui figure de proue du Brexit, qui a ajouté «je suis pour l’immigration».
C’est l’une des contradictions de cette campagne : le rejet de l’immigration est le moteur des partisans du Brexit et Boris Johnson a consacré ses deux mandats aux commandes de la capitale à faire l’éloge de la diversité. Mais il est trop tard, celui qui se voulait un maire mondialiste est aujourd’hui prisonnier de forces qui souhaitent le repli sur soi. Et qui, pour y parvenir, ont caricaturé le débat à l’envi sous un seul mot d’ordre : «Reprendre le contrôle !» A ceci près que la Grande-Bretagne n’est soumise qu’aux règles de fonctionnement d’un marché unique qu’elle avait appelé de ses vœux et dont elle a, plus que d’autres, profité.
Elle n’est pas membre de la zone euro et bénéficie de clauses de «opt-out», c’est-à-dire lui permettant de s’abstraire des règles communes dans les domaines qu’elle choisit. Le propre des référendums est de simplifier à l’extrême (c’est oui ou non) et de pousser aux slogans à l’unisson – en cela – de la demande médiatique. Un référendum permet aussi de répondre à celui qui pose la question autant, sinon plus, qu’à la question elle-même.
Celui-ci s’appelle David Cameron, pourtant réélu Premier ministre récemment. Il avait promis ce référendum pour tenter d’enrayer la progression de Ukip, dont c’était la principale revendication. Ce faisant, il a contribué à légitimer ce mouvement populiste et a obtenu en prime, en quelque sorte, une fracture au sein de son propre parti conservateur : Boris Johnson, en ralliant le Brexit, ne vise rien d’autre que la succession de David Cameron.
Au-delà du destin du Royaume-Uni, l’Union européenne elle même n’en sortira pas indemne. Dans un contexte de montée des extrémismes et des populismes, dont l’un des ciments est l’hostilité à l’Union, un succès du Brexit serait un encouragement et un espoir pour tous ceux qui plaident le «chacun pour soi». Ainsi, Marine Le Pen, en réunion à Vienne avec les eurodéputés d’extrême droite, a ouvertement souhaité un «Frexit» en assurant qu’à ses yeux l’Union européenne n’est porteuse que de «chaos» et de «destructions». Au moins connaît-on déjà la nature d’un débat franco-français post-Brexit, comme on le voit très argumenté…
Quoiqu’il arrive, comme l’a souligné l’ancien chef du gouvernement italien Enrico Letta, il y aura un avant et un après le vote des Britanniques du 23 juin. Il appartient donc aux dirigeants européens, et en premier lieu au couple franco-allemand, d’apporter une réponse qui devra être d’autant plus ferme et volontaire si le Brexit l’emporte. Si l’on veut préserver cet extravagant acquis qu’est, pour nos pays, la construction européenne.
Jean-Marie Colombani