Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
Le plan adopté par les 28 Etats membres de l’Union européenne, destiné à maîtriser le flux des réfugiés en provenance de Syrie, est peut être, pour l’Union, celui de la dernière chance. Ce dispositif a fait l’objet d’un accord avec la Turquie. Elle s’est engagée à retenir les réfugiés sur son sol et, à défaut, à réadmettre ceux qui, étant parvenus en Grèce, en seront renvoyés (850 000 personnes sont passées de la Turquie à la Grèce en 2015). La Turquie obtient en échange 6,6 milliards d’euros, en principe destinés à financer l’accueil des quelque 2,7 millions de réfugiés qu’elle abrite déjà. Elle obtient en outre la promesse d’une libéralisation des visas. Enfin, est accepté le principe selon lequel l’Union s’engage à accueillir des personnes éligibles au droit d’asile, pour le moment dans des camps de réfugiés en Turquie.
Cet accord pose plusieurs questions et difficultés. Il procède d’abord d’une idée simple : pour maîtriser des mouvements, perçus par une grande partie des opinions européennes comme une menace, et objectivement difficiles à absorber en un temps relativement bref, il faut éteindre la cause du conflit syrien (d’où les efforts diplomatiques et militaires) et encourager les pays limitrophes à retenir les réfugiés sur leur sol. Cela explique la position clé de la Turquie. Et une intransigeance qui ressemble fort à un chantage de la part d’un président, Recep Erdogan, de plus en plus dictatorial.
Les questions les plus graves sont posées par les organisations humanitaires et par les Nations unies car la loi internationale prohibe les reconduites collectives et oblige à un examen individuel pour celles et ceux qui se réclament du droit d’asile. Dès le début de la crise, la Commission européenne avait proposé que soient créés en Grèce et en Italie, principaux pays d’accueil, des «hot spots», c’est-à-dire des centres permettant d’enregistrer les migrants et d’identifier les vrais réfugiés. Ce dispositif commence à peine à se mettre en place. On assiste ainsi à une course de vitesse entre la mise en place des mécanismes collectifs et la pression des foules qui veulent trouver refuge en Europe. La Grèce demande le renfort d’au moins 25 000 agents européens pour faire fonctionner les «hot spots».
L’accord des 28 avec la Turquie représente toutefois un petit pas positif pour l’Europe. Ne serait-ce que parce que l’unanimité s’est faite alors que les plans précédents avaient été récusés par la plupart des pays de l’Union issus du bloc soviétique (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Pays baltes), révélant ainsi une fracture culturelle (les pays de l’Europe de l’Ouest ont une plus grande pratique de la diversité). Cela révèle aussi un contresens à l’est sur la construction européenne : une zone économique pour les uns (formidablement aidée par les fonds structurels), une communauté de valeurs pour les pays fondateurs.
C’est le second grand ébranlement que traverse l’Union européenne. Il a fallu quatre ans pour inventer et mettre en place les mécanismes de solidarité qui ont permis de surmonter la crise financière internationale. Quatre ans pour lever les réticences allemandes. Cette fois, l’Allemagne a pris les devants en ouvrant les bras aux réfugiés et en appuyant les premiers plans de la Commission qui prévoyaient l’attribution à chaque pays, en fonction de ses possibilités, d’une part des réfugiés. Ces mécanismes se sont heurtés au refus des pays de l’Est européens ainsi qu’à celui d’une partie non négligeable de l’opinion allemande, comme viennent de le montrer les derniers scrutins. D’où le message désormais collectif : il ne s’agit plus d’ouvrir les portes mais de les fermer. L’Histoire montre pourtant que, si une route de la survie se ferme, souvent une autre s’ouvre…
Jean-Marie Colombani