Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
La venue simultanée d’Angela Merkel et de François Hollande devant le Parlement européen nous a permis d’assister à deux événements. Le premier concerne le contenu même des discours de la chancelière allemande et du président français, à l’unisson de leurs exhortations à aller vers une Europe meilleure et plus forte. Le second a opposé le président français à une Marine Le Pen désormais à la tête d’un groupe d’eurodéputés. Cela lui a permis d’apostropher de façon virulente et, aux yeux de certains, insultante, François Hollande.
Sur la forme, ce fut un avant-goût de ce que pourrait être un duel de second tour François Hollande-Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017. Scénario à ce stade improbable, mais il y avait matière à rassurer sur la combativité de François Hollande, du moins celles et ceux (aujourd’hui 2 Français sur 3) qui ne voudraient pas d’une présidente Le Pen. L’adversité lui a donné, l’espace d’un débat, l’énergie et la hauteur de vue qui conviennent.
Au reste, en présentant François Hollande comme «l’administrateur» d’une France devenue «province allemande» – comme si la France était occupée… – Marine Le Pen a choqué bien au-delà des élus de la gauche. Ainsi, Eric Woerth a assuré que, s’il avait été présent, il aurait applaudi le président, qui a d’ailleurs été ovationné par une très grande majorité d’eurodéputés. Sur le fond, cette joute a marqué une évolution importante dans le discours de la présidente du Front national : elle est passée du simple rejet de l’euro à un propos dont la logique conduit au rejet de l’Union elle-même. A quoi le président a répondu en distinguant «la souveraineté» du «souverainisme», qui conduit au déclinisme, principal moteur du succès actuel des extrêmes.
Cette profession de foi européenne était aussi celle d’Angela Merkel. Tous deux savent, comme tous leurs prédécesseurs, que l’Europe ne peut avancer que pas à pas, grâce à des compromis élaborés patiemment. Cela a été le cas lors de la crise financière, qui a permis la naissance de l’union bancaire (pour éviter les faillites) et celle du mécanisme européen de solidarité (pour éviter le renouvellement de la crise grecque).
S’agissant de la crise des réfugiés, la chancelière, qui veut tirer «le meilleur parti de notre diversité», et le président, pour qui seule une Europe forte peut «garantir notre souveraineté», y voient la nécessité de renforcer l’Union. Les flux migratoires étaient, avant la crise, considérés par les gouvernements comme relevant exclusivement de leurs prérogatives nationales. Ceux-ci constatent aujourd’hui, dans leur grande majorité, que «ce n’est qu’ensemble que l’on parviendra à résoudre ce problème», selon les propres mots d’Angela Merkel.
La chancelière et le président ont, de concert et d’une même voix, exprimé une position claire : moins d’Europe, ce serait ouvrir la voie à la destruction de l’Union. C’est le schéma des partis populistes et extrémistes, auxquels ils opposent désormais la nécessité d’une Europe plus forte. On touche ici un paradoxe français mis en lumière par une enquête d’opinion publiée par le quotidien Les Echos. Alors que l’atmosphère du pays, du moins telle qu’elle apparaît dans les médias, est de plus en plus souverainiste, une très forte majorité de Français (plus de 60 %) sont attachés à l’Union européenne et à l’euro.
Comme si cette majorité considérait l’Europe non comme une contrainte mais comme une composante normale et nécessaire de notre paysage. Pourtant, aucun homme politique d’envergure ne se risque à argumenter en faveur de l’Union européenne. Les plus Européens assurent même que parler d’Europe est la meilleure façon d’être rejeté. L’espace d’un débat au Parlement européen, nous avons eu la preuve du contraire. •
Jean-Marie Colombani