L'Union européenne a critiqué mardi le bilan en matière de droits de l'homme et les "graves reculs" de la liberté d'expression en Turquie, au moment où elle tente de convaincre Ankara de faire davantage pour freiner l'exode sans précédent de migrants vers l'Europe.
"Sur l'année écoulée, des manquements significatifs ont touché l'indépendance de la justice, ainsi que la liberté de réunion et la liberté d'expression", a déclaré le commissaire à l'Elargissement, Johannes Hahn, en présentant devant le Parlement européen le rapport annuel sur les progrès de la Turquie vers une adhésion à l'UE. Le rapport de la Commission "souligne la tendance générale négative pour le respect de l'état de droit et des droits fondamentaux" et appelle le nouveau gouvernement turc à "répondre à ces priorités urgentes". Bruxelles déplore de "graves reculs" depuis deux ans en ce qui concerne la liberté d'expression et de réunion, à la suite de la répression contre les manifestations antigouvernementales de 2013.
M. Hahn a lui regretté "les pressions et intimidations de journalistes et de médias, ainsi que les amendements de la loi sur internet qui permettent de bloquer des contenus médiatiques" sur la toile, alors que la Turquie compte un nombre record de journalistes emprisonnés et que les autorités ont récemment pris le contrôle de plusieurs chaînes de télévision critiques du pouvoir.
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La publication de ce rapport était initialement prévue début octobre. Mais elle a été reportée d'un mois tant la question était sensible, en pleine crise migratoire et pour ne pas interférer avec les élections législatives du 1er novembre, remportées par le parti islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, qui a retrouvé une majorité absolue au Parlement.
La Commission européenne a en effet proposé à Ankara, le 6 octobre, un "plan d'action" afin d'endiguer les départs de milliers de réfugiés depuis les côtes turques pour gagner, via les îles grecques en mer Egée, le continent européen. "Nous partageons des opportunités et des défis communs, comme la crise des réfugiés le montre malheureusement", a expliqué M. Hahn.
Ce dernier doit se rendre mardi après-midi en Turquie avec le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, pour poursuivre les négociations sur les migrants. Celles-ci sont une priorité absolue pour Bruxelles, qui veut reprendre le contrôle des frontières extérieures de l'UE et ralentir l'afflux de réfugiés et migrants qui traversent les Balkans pour venir frapper à la porte des pays du nord du continent, à commencer par l'Allemagne. Le gouvernement islamo-conservateur a fait monter les enchères.
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Il réclame trois milliards d'euros d'aide humanitaire pour les deux millions de réfugiés syriens et irakiens qu'il accueille sur son territoire, des avancées sur la question des visas Schengen pour les ressortissants turcs et l'ouverture de plusieurs chapitres dans les négociations d'adhésion, qui piétinent depuis des années. "Le Européens sont un peu obligés de manger dans la main d'Erdogan", reconnaissait récemment un diplomate européen. "Il peut, s'il le veut, ouvrir les vannes et laisser venir des centaines de milliers de réfugiés en Europe", observait-il.
Dresser un bilan en matière de droits de l'homme est d'autant plus difficile que les "manquements" constatés relèvent de décisions du président Erdogan, qui a multiplié les purges dans la police et la justice contre les partisans présumés de son adversaire l'imam Fethullah Gülen, fait voter des lois pour contrôler magistrats et internet, et qui bloque périodiquement Twitter et YouTube. "L'indépendance de la justice et le principe de séparation des pouvoirs ont été sapés depuis 2014 et les juges et procureurs ont été soumis à une forte pression politique", juge ainsi l'exécutif bruxellois, qui dénonce les interférences du gouvernement dans les enquêtes retentissantes pour corruption qui ont éclaboussé des proches du président fin 2013.
Dans la longue liste de griefs énoncée sur 90 pages, figure aussi la reprise du conflit avec les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). "La Commission espère voir une fin dans l'escalade de violence en Turquie et un retour aux négociations pour trouver une solution durable à la question kurde", a insisté M. Hahn.