Quatre mois après le premier tour de la présidentielle afghane, l'audit destiné à éliminer la fraude et à donner enfin un vainqueur au scrutin s'enlise dans les polémiques et une montagne de paperasse, alors que l'instabilité politique menace.
Après une pause lors de la fête de l'Aïd El-Fitr, les autorités électorales ont repris lundi l'examen des quelque 8,1 millions de bulletins de vote du deuxième tour du 14 juin, sous les yeux de centaines d'observateurs nationaux et internationaux, ainsi que des représentants des deux candidats, Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah.
Mais le temps passe et l'Afghanistan n'a toujours pas de nouveau président pour succéder à Hamid Karzaï, seul homme à l'avoir dirigé depuis la chute des talibans à la fin 2001.
L'investiture du prochain président, initialement prévue le 2 août, est désormais attendue vers la fin du mois d'août.
Sous les hangars de la commission électorale indépendante (IEC) à Kaboul, les volontaires, cernés par la paperasse et les milliers de bulletins à examiner, ont fort à faire pour respecter les délais.
Les bulletins y défilent un par un, examinés par des dizaines d'équipes travaillant en deux roulements quotidiens.
Si des représentants d'un candidats perçoivent un problème sur un bulletin, il est mis de côté pour être examiné plus tard.
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Lundi, dans une chaleur étouffante, un responsable de l'ONU se penchait ainsi sur des votes contestés venus de l'instable province de Paktika (sud-est) considérée comme un foyer important de fraude. Des bulletins considérés comme suspects par les deux camps Abdullah et Ghani car remplis de manière très similaire.
S'en est suivi une dispute de quatre heures autour d'une seule urne, sur un total de 23.000 qui doivent être auditées dans ce processus déclenché par le refus de M. Abdullah d'accepter les résultats préliminaires qui donnaient à son rival une large avance (56,4%, soit un million de voix de plus).
"Nous avons une constante ici", a dit le responsable onusien, en montrant des marques sur les bulletins. "Mais c'est seulement trois (bulletins) d'affilée. Maintenant voyons les plaintes de l'autre camp", a-t-il dit.
A la fin du roulement matinal, la prise de bec faisait toujours rage autour de l'urne.
- "C'est le bazar" -
"Les disputes autour des marques figurent parmi les principaux problèmes", a expliqué à l'AFP Salim Paktin, un représentant de l'équipe de M. Ghani.
"Il y a aussi souvent plus de bulletins dans une urne que de numéros de carte d'identité relevés (sur les listes électorales) dans les bureaux de vote", a-t-il dit avant de préciser qu'en cas de désaccord entre les deux camps et les responsables de l'IEC, "nous appelons les experts techniques de l'ONU".
L'audit a été négocié il y a trois semaines par le secrétaire d'Etat américain John Kerry, dépêché en urgence à Kaboul au moment où les tensions entres les deux camps menaçaient la première transition démocratique de l'histoire du pays.
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Alors que les tensions s'amplifiaient entre les Tadjiks fidèles à M. Abdullah et les Pachtounes qui constituent la base du soutien de M. Ghani, l'ONU s'est alarmée d'un possible retour aux divisions ethniques qui ont marqué les années 1990 en Afghanistan, avant la prise du pouvoir par les talibans.
L'audit, qui a débuté le 17 juillet avec l'acheminement des milliers d'urnes depuis les quatre coins du pays, est resté laborieux.
Après avoir annoncé qu'elle le boycottait dimanche, l'équipe Abdullah s'est ravisée et a annoncé son retour après quelques heures de négociations sous le patronage du représentant spécial de l'ONU en Afghanistan, Jan Kubis.
"Nous sommes revenus pour vérifier que l'audit est juste", a dit Basir Mohedi, un étudiant représentant volontaire de l'équipe Abdullah.
Lundi à la mi-journée, environ 2.000 urnes seulement avaient été examinées. Mais l'invalidation des votes jugés frauduleux à proprement parler ne commencera pas avant la semaine prochaine.
"Honnêtement, c'est toujours le bazar", a affirmé un observateur international sous le couvert de l'anonymat.
A quelques mois du retrait des troupes de l'Otan prévu en fin d'année, les bailleurs de fonds étrangers qui portent à bout de bras de fragile gouvernement afghan attendent l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle équipe légitime pour minimiser les risques d'instabilité. Une gageure, au vu des accusations de fraudes qui ne se sont jamais apaisées depuis le vote.
De son côté, le porte-parole de l'IEC Noor Mohammad Noor, imperturbable, veut y croire: "l'audit se déroule bien (...) nous terminerons dès que possible".