Lorsqu'il a été averti du naufrage d'un ferry à bord duquel se trouvait sa fille, lycéenne, Huh Hong-Hwan a sauté dans sa voiture et conduit pendant cinq heures, malade d'angoisse, vers l'île de Jindo, dans le sud de la Corée. Trois mois plus tard, il est toujours là.
"Je n'aurais jamais imaginé que l'attente serait aussi longue", déclare l'employé d'une usine sidérurgiste, dans le gymnase de Jindo qui accueille les proches des 302 disparus depuis le naufrage du Sewol, le 16 avril.
"Je suis épuisé mais les parents ne peuvent pas abandonner leurs enfants, même si le monde entier jette l'éponge", dit à l'AFP le père de 50 ans.
Comme lui, une trentaine de proches des victimes n'ont pas quitté les lieux et attendent que soient récupérés les derniers corps. Trois cents personnes, dont 250 lycéens, sont morts noyés lorsque le ferry à quatre ponts a sombré dans une mer calme, au matin.
Les centaines de plongeurs qui ont travaillé sans relâche dans une eau boueuse et glacée ont récupéré 293 corps. Il manque onze personnes, dont la fille de Huh.
Le dernier cadavre remonté des entrailles du ferry l'a été le 24 juin. Rien ne dit que les onze manquants soient encore dans le bateau. Certains ont été retrouvés à des kilomètres, malgré des filets installés pour éviter qu'ils soient emportés loin du site.
Les proches encore présents sur Jindo, l'île la plus proche du lieu du naufrage et d'où partent les bateaux des plongeurs, ont parfois démissionné de leur travail et portent les stigmates physiques et morales de leur attente désespérée.
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"Je ne pensais pas que le simple fait d'attendre pouvait être aussi douloureux", déclare Kwon Oh-Bok, 59 ans, dont le jeune frère et sa famille ont disparu dans le naufrage. Seule survivante, une fillette de 5 ans, qui vit à présent avec l'épouse de Kwon.
Lui dort depuis le 16 avril sur un matelas dans le gymnase, mange les repas apportés par les volontaires, participe aux réunions quotidiennes avec les autorités et les secouristes... et passe de longues heures à attendre.
"J'ai tellement peur d'être le dernier à rester ici", dit-il, une plainte entendue aussi dans la bouche des autres parents encore à Jindo.
- Le temps s'est arrêté le 16 avril -
Pendant les premiers jours après la catastrophe, le gymnase ressemblait à un camp de réfugiés où des centaines de personnes s'entassaient, soutenus par une armée de volontaires venus de toute la Corée.
Le bâtiment résonnait des pleurs et des cris de douleurs à la lecture des noms des personnes dont les corps venaient d'être remontés. Aujourd'hui, le gymnase est quasiment vide. Sur l'écran géant, les films tournés par les équipes de secours sur le site du naufrage ont cédé la place à des comptes-rendus de la Coupe du monde de foot.
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Sur les portes de verre sont toujours fixés des centaines de messages laissés par les familles. "Mon fils, nous sommes aujourd'hui le 16 mai. S'il te plait, sors de l'eau glacée. Rentre à la maison avec papa et maman".
Kwon Oh-Bok ne peut envisager l'arrêt des recherches. "A ma place, personne n'abandonnerait".
Alors que le pays reste traumatisé par cette tragédie, aucun responsable politique n'évoque un arrêt des recherches et le remorquage du ferry, étant parfaitement conscient qu'une telle suggestion équivaudrait à un suicide politique.
Sur les réseaux sociaux en revanche, certains s'interrogent sur le bienfondé de la poursuite des opérations, alors que deux plongeurs déjà ont trouvé la mort.
Sur le port de Jindo, où sont ramenés les corps, l'animation fébrile des premières semaines a là aussi disparu. Un moine psalmodie en heurtant un gong. Des tentes installées par des groupes religieux bordent la jetée. Des centaines de rubans jaunes, symboles de l'attente de l'être aimé, sont acrochés au grillage.
"Trois mois, c'est long. Mais pour ces familles, c'est comme si le temps s'était arrêté" le 16 avril, déclare Lee Seong-Tae, un volontaire qui est sur les lieux depuis le début.