Des manifestants casqués et armés de battes de baseball, des rues débarrassées de leurs pavés et recouvertes de suie grasse : le centre de Kiev, transformé par une mobilisation de plus en plus radicale de l'opposition, a pris un visage surréaliste et inquiétant.
A la mi-novembre, rien ne distinguait la capitale ukrainienne d'une autre grande cité européenne avec des rues commerçantes animées et son architecture du XIXe siècle qui avaient ravi les supporteurs de football pendant l'Euro 2012.
Aujourd'hui, son centre-ville, cerné de barricades faites de sacs remplis de neige et de fils barbelés, a bien changé.
"Ligne de front" des derniers heurts, la rue Grouchevski, qui monte vers le Parlement et l'imposant siège du gouvernement, est méconnaissable.
Manifestants et policiers antiémeutes se font face à travers un rideau de fumée s'élevant de pneus enflammés.
A plusieurs reprises dans la semaine, les contestataires ont ainsi mis en place un véritable rideau de flammes, créant un mur de fumée noire haut de plusieurs dizaines de mètres et visible de la plus grande partie du centre.
ci-dessus
Le feu retombé, la rue est recouverte d'une épaisse suie grasse mélangée à la neige, les températures se maintenant depuis des jours sous les -10 degrés. L'odeur de caoutchouc brûlé pique les narines et le ministère de la Santé a averti qu'il était dangereux d'y respirer.
A l'entrée du stade Dynamo, la statue du légendaire entraîneur soviétique et ukrainien Valéri Labanovski, couverte de cendres, a des airs de gargouille effrayante.
Les policiers des forces spéciales restent, quant à eux, immobiles derrière leurs boucliers métalliques, sur lesquels se reflète le brillant soleil d'hiver.
Entre ces lieux et la place de l'Indépendance, quelques centaines de mètres plus bas, les manifestants déambulent, protégés par des casques de ski, de chantier, voire de moto, des masques. Préparés à un éventuel assaut, ils ont aux jambes des protège-tibia de football ou encore des matelas de camping.
Cauchemar pour les automobilistes
Les habitants du quartier n'ont d'autre choix que de se garer à l'extérieur de la zone barricadée, et encore au prix d'embouteillages incessants.
"Les barrages de police sont un cauchemar pour les automobilistes parce qu'on ne laisse pas entrer les voitures dans le centre", se plaint un fonctionnaire de 29 ans.
ci-dessus
Les taxis tentent comme ils le peuvent de tourner à la recherche des artères encore ouvertes à la circulation à travers les petites rues pentues du centre historique pour transporter leurs clients.
Le boulevard Khrechtchatik, que les Ukrainiens décrivent souvent aux touristes français comme les Champs-Elysées locaux, est en grande partie bloqué, et entre dans le territoire de "Maïdan", l'autre nom de la place de l'Indépendance employé pour la zone occupée depuis deux mois par l'opposition.
Cette large artère, qui abrite mairie et centre commerciaux, est parsemée de tentes, à la manière de la Révolution orange de 2004. Les occupants de ce campement vivent au rythme des distributions de bois et de soupe.
De nombreux commerces ont désormais interrompu leurs activités, avec simplement un "fermé pour raisons techniques" écrit sur leurs portes.
A l'épicentre de la contestation, la place de l'Indépendance est dominée par la structure en métal du sapin de Noël géant que les autorités voulaient édifier avant les fêtes, recouverte d'un portrait de l'opposante emprisonnée Ioulia Timochenko.
Dans toute la zone résonnent en permanence les slogans des manifestants : "Bandu het !" ("Dehors les bandits"), "Handa !" ("Honte !), entre deux reprises de l'hymne ukrainien.
ci-dessus
La nuit, les rues désertes sont gardées par des militants casqués, qui mettent en garde contre le risque d'attaques de "Titouchkos", des gros bras partisans du pouvoir que l'on dit payés pour se livrer à des provocations.
Leur nom provient de Vadym Titouchko, connu pour avoir battu un groupe de journalistes ukrainiens en mai.
Le pape appelle à la fin des violences en Ukraine