Un important émissaire américain a mené samedi en Egypte une médiation pour tenter de trouver une solution au dangereux bras de fer entre les partisans du président islamiste déchu Mohamed Morsi et le pouvoir mis en place par l'armée.
Dans le même temps, le nouvel homme fort du pays, le général Abdel Fattah al-Sissi, a alterné le langage de l'apaisement et celui de la menace à peine voilée dans un entretien au Washington Post.
Dans ce contexte, la visite surprise du secrétaire d'Etat américain adjoint William Burns apparaît comme l'une des dernières chances d'éviter une confrontation entre la police et les milliers de militants des Frères musulmans qui occupent deux places du Caire depuis un mois pour dénoncer un coup d'Etat militaire.
M. Morsi, issus de leurs rangs, a été destitué et arrêté par l'armée le 3 juillet.
Le ballet diplomatique qui s'est joué ces derniers jours au Caire, mené essentiellement par des responsables européens et africains, n'a cependant pas donné de résultats tangibles.
Le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans en Egypte, a ainsi affirmé dimanche matin qu'il continuera à exiger le retour au pouvoir de M. Morsi.
"Nous affirmons que nous accueillerons toute solution politique proposée sur la base de la légitimité constitutionnelle et le rejet du coup d'Etat", a indiqué le PLJ dans un communiqué, précisant que des représentants de la coalition des groupes islamistes appelant au retour au pouvoir du président Morsi ont rencontré William Burns samedi matin.
"Un processus politique ouvert à tous"
ci-dessus
La police et l'armée fourbissent leurs armes, et le ministère de l'Intérieur a demandé une nouvelle fois samedi la dispersion des sit-in en faisant valoir qu'une sortie pacifique permettra aux Frères musulmans "de jouer un rôle dans le processus politique démocratique".
La communauté internationale redoute que l'évacuation par la force des places Rabaa al-Adawiya et Nahda, où des manifestants se sont barricadés avec femmes et enfants, ne tourne au massacre après la mort de plus de 250 personnes en un mois, essentiellement des pro-Morsi, lors de heurts avec la police ou des anti-Morsi.
M. Burns a rencontré le ministre des Affaires étrangères Nabil Fahmy et des membres des Frères musulmans, la formation de M. Morsi.
Dans le même temps, le général Sissi a assuré vouloir tout faire pour "organiser les élections à venir (annoncées pour début 2014) sans verser une seule goutte de sang égyptien".
Mais il n'a pas du tout exclu une dispersion par la force: "Ceux qui mettront un terme à ces sit-in et nettoieront ces places, ce ne sont pas les militaires. Il y a une police civile qui est affectée à ces tâches".
Le général a même vertement critiqué les Etats-Unis, pourtant le principal bailleur de fonds de son armée avec 1,3 milliard de dollars annuels.
"Nous nous demandons vraiment quel est le rôle des Etats-Unis, de l'Union européenne et de toutes les autres forces internationales qui sont pour la sécurité et le bien-être de l'Egypte (...) ? Vous avez laissé tomber les Egyptiens, vous leur avez tourné le dos, et ils ne l'oublieront pas", a asséné Sissi.
Il avait justifié la destitution de M. Morsi par le mécontentement qui avait poussé des millions d'Egyptiens à manifester pour réclamer son départ et lui reprochant d'avoir accaparé le pouvoir au seul profit des Frères musulmans et d'avoir achevé de ruiner une économie déjà exsangue.
"Si nous n'avions pas agi, cela se serait transformé en guerre civile", a martelé Sissi au Washington Post.
"Ecrasons-les"
La visite de M. Burns survient après une déclaration tonitruante du chef de la diplomatie américaine John Kerry, qui avait estimé jeudi soir que l'armée avait "rétabli la démocratie" en destituant M. Morsi à la demande de "millions et de millions de manifestants".
La tonalité de cette déclaration démontre l'embarras de l'administration américaine face à la crise que vit l'un de ses principaux alliés dans la région.
Les Frères musulmans ont enfoncé le clou en accusant les Etats-Unis d'être les "complices" d'un coup d'Etat et le chef d'Al-Qaïda, l'Egyptien Ayman al-Zawahiri, a qualifié la destitution de M. Morsi de résultat d'un "complot américain" avec la "collusion" des intérêts de l'armée et de la minorité chrétienne copte.
Dans la rue, malgré les appels des Frères musulmans à une plus forte mobilisation vendredi soir contre le pouvoir, celle-ci a toutefois paru s'éroder avec des marches et de nouveaux sit-in qui ont tourné court dans la nuit. Samedi, les manifestants n'ont cependant pas bougé des deux places qu'ils occupent.
Le vice-président par intérim et prix Nobel de la Paix Mohamed ElBaradei a prévenu vendredi qu'il ne pourrait pas contenir longtemps les faucons au sein du pouvoir auquel il participe.
"Des gens sont vraiment furieux contre moi parce que je dis: prenons notre temps, parlons avec eux. L'humeur, maintenant, c'est plutôt 'écrasons-les'", a-t-il assuré.