Insurgés hostiles à la présence d'humanitaires sur leur "territoire", croyances que les vaccins contiennent du "porc" ou "rendent stérile", théorie du complot: l'opposition à la lutte antipolio est un alliage complexe dans les régions "pachtounes" au Pakistan.
Car cette opposition, comme les nombreux cas d'infection, se concentre chez l'ethnie pachtoune établie principalement dans le nord-ouest du pays, dans des zones devenues des sanctuaires pour les talibans, et à Karachi, la mégapole du sud.
Dans ces régions, neuf personnes oeuvrant pour une campagne de vaccination contre la poliomyélite ont été tuées cette semaine, forçant les autorités à suspendre temporairement leurs activités.
Il s'agissait de la première série d'attaques coordonnées contre une campagne antipoliomyélite, une maladie virale qui peut entraîner la paralysie, et même la mort, encore endémique dans seulement trois pays incluant le Pakistan.
Cette campagne ciblait notamment le million d'enfants qui n'avaient pas été vaccinés lors d'une offensive au début de l'automne ayant permis d'immuniser 32 millions de personnes à travers le pays. Or ce million manquant était concentré dans le nord-ouest du pays et à Karachi.
Dans le nord-ouest du Pakistan, certains imams estiment que le vaccin est un complot de l'occident contre les musulmans. Ce message est naïvement cru par des parents influençables ou illettrés.
"Les parents qui ont refusé la vaccination ont dit à nos équipes sur le terrain que le vaccin contenait du gras de porc et qu'il rendait même les enfants infertiles", explique à l'AFP Janbaz Afridi, responsable dans de la campagne de vaccination dans la province du Khyber Pakhtunkhwa (nord-ouest).
Des commandants talibans pakistanais, comme le puissant Hafiz Gul Bahadur, se sont aussi opposés à la vaccination sans toutefois appeler à l'assassinat des vaccinateurs.
"Certains éléments que l'on appelle talibans, mais c'est un terme très générique, se sentent menacés par la présence de gens qui circulent dans leur quartier pour vacciner les enfants", explique le Dr Guido Sabatinelli, chef de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) au Pakistan.
En Afghanistan voisin, les talibans sont "absolument favorables" à la vaccination, remarque M. Sabatinelli. Alors pourquoi les talibans au Pakistan s'y opposent-ils?
La méfiance s'est décuplée depuis "l'affaire Shakeel Afridi", ce médecin condamné pour avoir participé à une fausse campagne de vaccination contre l'hépatite organisée par la CIA en 2011 afin de s'assurer de la présence d'Oussama Ben Laden à Abbottabad (nord-ouest).
Des commandants rejettent aussi à la vaccination pour protester contre les tirs réguliers de drones américains dans les zones tribales pakistanaises.
"Mais il n'y a aucune raison de critiquer la campagne d'immunisation contre la polio, car les oulémas de grandes institutions islamiques... ont tous émis des fatwas en faveur de la vaccination", souligne Tahir Ashrafi, président du Conseil des oulémas du Pakistan. "Ceux qui tuent des employés de la santé et des bénévoles ne sont les amis ni du Pakistan, ni de l'islam", dit-il à l'AFP.
Un problème pachtoune?
Au Pakistan, le nombre de cas de polio recensés est passé de 198 l'an dernier à 56 cette année. Or la grande majorité de ces cas sont concentrés dans la province du Khyber Pakhtunkhwa et les zones tribales, terres des Pachtounes. Vient ensuite Karachi où 90% des cas sont aussi parmi des familles de cette ethnie.
Des zones inaccessibles contrôlées par les talibans et peuplées par les Pachtounes sont considérées la "source de l'infection" de polio dans le pays, selon les autorités sanitaires.
Or des Pachtounes, sur la ligne de front malgré eux de la "guerre contre le terrorisme" migrent régulièrement, par commerce ou pour fuir l'insécurité, vers Karachi (sud) et en Afghanistan voisin, où la polio reste endémique, ce qui contribue à la propagation de cette maladie. Des cas de polio, importés du Pakistan, ont même été diagnostiqués pour la première fois en plus d'une décennie l'an dernier en Chine.
Les autorités avaient prévu une autre campagne de vaccination début janvier, pendant l'hiver, saison de faible propagation, dans l'espoir d'endiguer la maladie, mais les attaques pourraient contrarier ces plans. "Il est encore trop tôt pour prendre une décision sur la suite des événements", résume un haut responsable gouvernemental. "La prochaine fois, nous ferons profil bas", résume M. Afridi.