La Géorgie se prépare à une cohabitation inédite qui s'annonce difficile entre les deux grandes forces politiques rivales dans cette ex-république soviétique du Caucase, estiment mercredi des analystes, au lendemain des législatives remportées par l'opposition.
Alors que le décompte des voix se poursuivait mercredi, le président Mikheïl Saakachvili a concédé la veille la défaite de son Mouvement national unifié face à la coalition d'opposition Rêve géorgien du milliardaire Bidzina Ivanichvili, et assuré qu'il faciliterait la formation d'un nouveau gouvernement.
Appelé à devenir le futur Premier ministre, M. Ivanichvili a aussitôt appelé le président Saakachvili à démissionner avant la fin de son mandat en octobre 2013, provoquant des tensions dans la classe politique.
Le chef du Conseil national de sécurité géorgien, Giga Bokeria, a prévenu mardi soir que la présidentielle aurait lieu en 2013 comme prévu et mis en garde l'opposition contre une "crise" politique.
"Menacer le système constitutionnel peut s'avérer un jeu dangereux. Provoquer une crise serait un choix très dangereux", a déclaré M. Bokeria à la télévision.
Le président Saakachvili, qui règne sans partage depuis son arrivée à la tête de l'Etat à l'issue de la Révolution de la rose en 2003, va devoir composer avec M. Ivanichvili, une situation totalement nouvelle dans ce pays de l'ex-URSS, où les transitions de pouvoir en douceur sont tout à fait exceptionnelles.
"La cohabitation s'annonce difficile dans un système politique qui reste assez féodal", estime l'analyste politique indépendant Thomas De Waal, d'autant que MM. Saakachvili et Ivanichvili sont des ennemis politiques dont l'animosité a pu être observée pendant la campagne électorale.
M. Ivanichvili a accusé M. Saakachvili d'avoir déclenché la guerre de l'été 2008 avec la Russie, qui a mené à la perte de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, deux territoires sécessionnistes où Moscou maintient depuis des troupes.
M. Saakachvili a en retour accusé son rival, qui a fait fortune en Russie dans les années 1990, de faire le jeu de Moscou.
La Russie a indiqué mercredi espérer une "normalisation de ses relations" avec la Géorgie après la victoire de l'opposition, une telle perspective étant inimaginable avec M. Saakachvili, bête noire de Moscou, dont les liens avec Tbilissi sont rompus depuis la guerre de 2008.
"Culture politique hostile au compromis"
Pour Alexandre Rondeli, de la Fondation géorgienne pour les études stratégiques et internationales, il ne sera "certainement pas facile" pour MM. Saakachvili et Ivanichvili de "trouver un terrain d'entente".
Car les deux hommes évoluent dans "une culture politique hostile au compromis, sans règles ou institutions comme il en existe en Europe pour amortir les chocs", renchérit Thomas De Waal dans une tribune sur le site internet Foreignpolicy.com.
En appelant dès mardi le président Saakachvili à démissionner, "Ivanichvili a montré qu'il était plus agressif et prêt à affronter une crise politique", a déclaré à l'AFP l'analyste politique indépendant Ghia Nodia, qui estime que M. Saakachvili ira au bout de son second mandat.
Les tensions vont se ressentir "non seulement entre les deux nouvelles grandes forces politiques en Géorgie, mais dans leurs propres rangs", ajoute M. De Waal.
Au sein de la coalition Rêve géorgien, qui regroupe une petite dizaine de partis et mouvements politiques, il existe "des visions divergentes, et tout dépend d'un seul homme, Ivanichvili", qui a fédéré les forces d'opposition pour les législatives, explique M. Nodia.
"Quoi qu'il advienne, c'est la fin de l'ère Saakachvili", estime M. De Waal.