"Ils viennent, frappent et repartent", raconte Madou, un rescapé des récentes attaques meurtrières dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire. Les auteurs des violences restent sans visage, mais les habitants désignent des hommes armés venus du Liberia voisin.
Le pouvoir accuse des miliciens ivoiriens et mercenaires libériens basés de l'autre côté de la frontière et fidèles à l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, après les attaques dans cette région éprouvée depuis des années par des conflits ethniques liés au cacao - dont le pays est premier producteur mondial - et les suites des guerres civiles libériennes (1989-2003).
Saho, petit village perdu au milieu d'une forêt luxuriante, fut l'une des localités meurtries par une incursion sanglante le 8 juin, qui a fait 18 morts, dont sept Casques bleus nigériens.
Les assaillants "n'ont pas de visage, ne parlent jamais de leur mobile, mais volent, pillent et tuent", dit à l'AFP Madou, la gorge nouée, au milieu des débris de sa boutique partie en cendres.
"Ils sont venus et sont repartis par cette piste", précise ce petit commerçant et planteur de cacao. Il montre du doigt un chemin de terre qui serpente dans la forêt et mène au fleuve Cavally, frontière naturelle avec le Liberia. Et d'ajouter: "ils parlent anglais et français!"
A quelques encablures de Saho, le pick-up qu'occupaient les Casques bleus tués est immobilisé sur une route boueuse. C'est là, entre une plantation et d'épaisses broussailles, que les soldats de la force onusienne Onuci furent pris en embuscade. Le véhicule est calciné par endroits et criblé de balles.
Projet de rébellion
Pour le commandant Losséni Fofana, chef des Forces républicaines (FRCI, armée ivoirienne) dans la région, pas de doute sur l'identité des meurtriers: "j'accuse les mercenaires libériens d'être les auteurs" des violences, dit-il.
"Nous avons arrêté des combattants sur le terrain, qui constituent des preuves palpables", assure celui que tout le monde appelle "Loss".
Maire-adjoint de la ville de Taï, qui accueille environ 5.000 des quelque 12.000 déplacés ayant fui les attaques, Téré Tehe confirme. "Les mercenaires ont juré +no Gbagbo, no Côte d'Ivoire!+ Ils sont dans cette logique de déstabilisation du pays", avance-t-il.
Il explique s'être rendu plusieurs fois au Liberia pour en finir avec ces opérations sanglantes, qui perdurent depuis la fin de la crise postélectorale ivoirienne (décembre 2010-avril 2011) aux quelque 3.000 morts.
Mais "les mercenaires libériens disent qu'ils ne sont pas prêts à composer avec le pouvoir en place" du président Alassane Ouattara, s'inquiète-t-il.
Pour lui, "ces attaques visent à installer une rébellion et déstabiliser toute la région", et les assaillants ont un atout majeur: "leur maîtrise du terrain", spécialement de l'immense forêt dense qui entoure la zone.
D'autres sont plus circonspects, et l'Onuci elle-même n'a pas encore révélé ses conclusions. "Les assaillants viennent de la brousse du côté de la frontière libérienne", mais "on ne sait pas qui attaque", tranche Salif, commerçant à Saho, qui dit n'avoir jamais vu d'agresseur arrêté.
Ils partent incognito "avec leurs blessés comme font les Indiens dans les westerns", souligne un élément FRCI.
L'armée a déployé plusieurs centaines d'hommes en renfort, mais la région reste un cauchemar pour ceux qui ont charge de la défendre. Les routes sont dans un état désastreux (trois heures pour parcourir 50 km à moto), aggravé par la saison des pluies, et la forêt si profonde que l'obscurité y règne parfois en plein jour.
Le commandant "Loss", lui, souhaite que ses hommes aient un droit de poursuite des "mercenaires" en territoire libérien. "Nous attendons que les politiques décident".