Une soirée d'hommage à l'ex-dictateur Augusto Pinochet (1973-1990) prévue pour le 10 juin provoque une intense polémique au Chili, mettant dos à dos les tenants de la liberté d'expression et les familles des victimes, déterminées à faire interdire l'évènement.
La cérémonie est prévue dimanche autour de la projection de la première d'un documentaire intitulé "Pinochet" au Théâtre Caupolican de Santiago. Quelque 4.000 partisans de l'ancien général décédé en 2006 sont attendus à cette projection, qui célèbre l'héritage de ses 16 ans de dictature.
Ce documentaire expose la situation politique ayant précédé le coup d'Etat, et recense les principales réalisations du régime. L'évènement est organisé par la Corporation 11 septembre, organisation favorable à Pinochet qui tire son nom de la date du coup d'Etat l'ayant porté au pouvoir en 1973.
Juan Gonzalez, président de ce groupe qui compte notamment dans ses rangs des militaires à la retraite, a présenté ce documentaire comme un objet "montrant la vérité au Chili" et assuré que le régime de Pinochet avait "rétabli la paix et la liberté et mis en échec le terrorisme" dans le pays.
Dès l'annonce de la tenue de cette soirée, les appels à manifester se sont multipliés sur les réseaux sociaux, et certains sont même déterminés à faire interdire la projection, rappelant que du temps où le général Augusto Pinochet était au pouvoir, 3.225 personnes ont été tuées ou ont disparu. Quelque 37.000 cas de tortures et de détentions illégales ont également été recensés pendant cette période.
Le Groupe de proches de détenus disparus (AFDD) a déposé un recours devant la justice pour tenter de faire annuler la soirée, invoquant une apologie de la violence et des crimes contre l'humanité.
Mais ce recours a été rejeté vendredi par un tribunal chilien, provoquant l'indignation de Lorena Pizarro, présidente de l'AFDD. "Une fois de plus le pouvoir judiciaire est du côté de ceux qui violent les droits de l'Homme" a-t-elle déclaré à la presse.
- Un acte "légal" mais "immoral" -
"Un tel évènement ne pourrait se tenir en Allemagne, par exemple, où les hommages à Hitler sont interdits", admet de son côté l'universitaire Manuel Delano, spécialiste en communication.
Toutefois, souligne-t-il, "ces évènements peuvent être légalement organisés au Chili" même si "moralement ils ne devraient pas l'être", estime-t-il, soulignant que cela revient à "attiser la douleur des victimes".
Aujourd'hui, plus de 350 procédures sont encore ouvertes au Chili pour des affaires de disparitions, de tortures, d'incarcérations illégales ou de conspirations sous la dictature.
Exhorté à se positionner sur la question, notamment par l'AFDD, le premier gouvernement de droite depuis la fin de la dictature a botté en touche mardi par la voix du porte-parole du président Sebastian Piñera.
"Nous ne favorisons, ne collaborons, ni ne participons (...) à ce type d'hommages", a assuré Andres Chadwick, mais "le gouvernement le respecte évidemment, car il est conforme à la loi".
Les partisans de la liberté d'expression considèrent de leur côté que si ces évènements sont autorisés par la loi, ils doivent pouvoir se tenir.
Pour le directeur Amériques de l'ONG Human Rights Watch, Jose Miguel Vivanco, "cette catégorie de Chiliens qui s'inspire des dictatures, de la brutalité et de la corruption ont le droit de rendre ce type d'hommages".
"Et l'Etat a l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour garantir l'expression de ce droit", a-t-il considéré sur l'antenne de la radio ADN.
L'interdiction de l'évènement "constituerait une contradiction pour le mouvement civil qui lutte pour les libertés et les droits de l'homme, mais qui refuse aujourd'hui que s'expriment les partisans de Pinochet", assure pour sa part le sociologue Eugenio Tironi.
Selon lui, "les sociétés ont l'obligation d'affronter leurs démons, et non de les ranger au placard".