Des cordes reliées à des arbres délimitent un tronçon routier interdisant le passage devant la maison de l'ex-Premier ministre Carlos Gomes Junior, arrêté à Bissau où des habitants "ont peur des militaires" après un nouveau coup d'Etat qui a décapité l'exécutif jeudi.
Deux soldats en faction surveillent les mouvements autour du domicile devant lequel est érigé un barrage de fortune fait d'une poubelle, d'un sac en sisal vide accroché à une corde et d'une boîte en carton, sur "l'Avenue des combattants de la libération", une des principales de la capitale.
"D'habitude, il y a de nombreuses voitures sur cet axe mais les gens ont peur de sortir à cause des militaires", affirme Moustapha Gassama, jeune homme de 25 ans qui se présente comme informaticien au chômage.
"Les militaires bissau-guinéens ont perdu la tête. Un jeune qui vit dans ce pays n'a aucune chance" de réussite, ajoute-t-il, allusion au coup d'Etat mené jeudi par des responsables de l'armée qui ont arrêté le président intérimaire Raimundo Pereira et le Premier ministre Gomes Junior, candidat du parti au pouvoir, favori du second tour de la présidentielle qui était prévu le 29 avril.
A Chau de Pepel, quartier du centre-ville aux ruelles envahies de crevasses, Nfaly Keita, plombier au chômage, dit "ne plus sortir par peur des militaires" alors que ces derniers ne sont plus visibles que devant certains édifices publics comme l'Assemblée nationale.
"Ce jour-là (jeudi), je me suis couché par terre (pour éviter d'éventuelles balles perdues). Les détonations étaient fortes. Depuis lors, je ne sors plus", dit-il, évoquant l'attaque armée de la maison de Gomes Junior par des militaires.
Il est assis sur deux chaises superposées et bancales. Près de lui, une femme d'une cinquantaine d'années, d'un geste ferme de la main, refuse de parler aux journalistes et surtout de dévoiler son identité comme de nombreux habitants à Bissau, "pour des raisons de sécurité".
"On ne sait jamais avec les militaires", lâche un homme de 68 ans en priant avec insistance qu'on taise son nom.
"Esprit de guérilla" "Je n'ai plus d'espoir que ce pays se développe. L'armée bissau-guinéenne a toujours un esprit de guérilla. Pour elle, le pouvoir est toujours au bout du fusil", dit-il, ajoutant: "Il faut en faire un protectorat de l'Onu. Pour qu'il y ait une qualité de vie dans ce pays, il faut que l'Onu s'en mêle".
L'armée joue un rôle important et le plus souvent néfaste dans la vie politique en Guinée-Bissau, pays indépendant depuis 1974 après une guerre de libération contre la puissance coloniale portugaise: elle a mené de nombreux coups d'Etat, freinant le développement d'un pays qui est devenu une plaque tournante du trafic de drogue entre l'Amérique du Sud et l'Europe.
Au marché de Bissau situé sur la route de l'aéroport, l'activité a timidement repris, mais la plupart des magasins restent cadenassés.
"Que le calme revienne! Je gagnais 4.000 à 6000 FCFA (6 à 9 euros) par jour, mais depuis les évènements, j'ai du mal à avoir 1.500 FCFA (un peu plus de 2 euros)", dit Mamadou Dian Diallo, un jeune vendeur de ceintures d'occasion en plein marchandage.
A côté, Sadio Gassama, veuve d'une cinquantaine d'années, est occupée à choisir des fripes sur un étal en bord de route où circulent quelques vieux minibus bleu et jaune qui laissent derrière eux d'épais nuages de fumée noire.
"Ce coup (d'Etat) n'est pas bon pour la Guinée-Bissau. Les gens n'ont pas d'argent ici, ni de quoi manger", affirme-t-elle.
Mamadou Dian Diallo a l'esprit ailleurs: "Je me dépêche de vendre pour rentrer tôt à cause du couvre-feu" imposé de 21H30 à 06H00 (locales et GMT) depuis le coup d'Etat.