Moins d'un an après un mouvement d'ampleur historique et malgré une série de mesures, la mobilisation agricole reprend en France et devrait s'amplifier dans les prochains jours. En cause : le sommet du G20 au Brésil, où le traité de libre-échange avec le Mercosur pourrait être signé.
Ils sont prêts à ressortir les tracteurs, pas de gaité de coeur mais d'épuisement et de colère : malgré de nombreuses aides d'urgence et annonces du gouvernement, l'alliance syndicale majoritaire FNSEA-JA a appelé à des actions nationales une fois les semis d'hiver terminés, «à partir de la mi-novembre», et notamment la semaine du 18 novembre, pour protester contre une potentielle signature d’un accord avec le Mercosur à l’occasion de l’ouverture du sommet du G20 au Brésil.
La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole du pays, dont certains cadres affichent leur proximité avec l'extrême droite, promet «une révolte agricole» à compter du 19 novembre, avec un «blocage du fret alimentaire». Quant à la Confédération paysanne, troisième force syndicale, elle prévoit dans la semaine des actions contre les «accords de libre-échange» ou «l’accaparement du foncier par les énergéticiens». D’autres problématiques plus locales seront également abordées.
Pas d’accord UE-Mercosur
Les revendications des agriculteurs sont claires : ils ne veulent pas de la signature d’un traité de libre-échange avec le «Mercosur», une alliance économique et politique majeure fondée en 1991 par le Traité d'Asunción, qui rassemble plusieurs pays d'Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay et Bolivie). Le Mercosur est l’un des accords commerciaux les plus importants du monde, avec près de 780 millions de personnes concernées et des volumes d’échanges compris entre 40 et 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations.
Le traité de libre-échange avec l’UE prévoit de supprimer intégralement ou partiellement, en fonction des produits, les droits de douane entre les pays membres de l’UE et du Mercosur, notamment sur les questions industrielles (véhicules, médicaments...) et agricoles. Mais aussi d’instaurer des quotas en dessous desquels les produits sud-américains ne seraient pas taxés : 180.000 tonnes par an pour le sucre, 100.000 tonnes pour les volailles et 99.000 tonnes pour le bœuf. La liste complète inclut également de la viande porcine (25.000 tonnes par an) ou encore du riz (60.000 tonnes par an).
En échange, des taxes imposées aux produits européens par le Mercosur seraient supprimées sur de nombreux produits : le vin, le chocolat, les biscuits, les boissons gazeuses ou encore les spiritueux. Les produits laitiers ainsi que les fromages produits au sein de l’UE seraient quant à eux concernés par des «larges quotas» sans taxes. Mais l’opposition de plusieurs pays, dont la France, a bloqué son adoption définitive, défendue en revanche par l’Allemagne. Certains termes de l’accord font notamment l’objet d’un fort rejet de la part des agriculteurs français.
Les grands syndicats d’agriculteurs dénoncent une «concurrence déloyale» des grandes exploitations sud-américaines. Les agriculteurs réclament également que les produits importés soient soumis aux mêmes normes que les produits français. Fin 2023, les interprofessions françaises du sucre, de la volaille, des céréales et de la viande ont regretté l’absence de «clauses miroirs» sur les «normes de production environnementales et sanitaires». Ces derniers craignent donc que le marché soit inondé de produits ne respectant pas les normes européennes, comme les maïs OGM ou le «poulet dopé aux antibiotiques».
GNR, normes environnementales, et aléas climatiques
Par ailleurs, les agriculteurs réclament d'autres mesures pour des problématiques plus locales mais non moins importantes. C'est le cas notamment pour la taxation du GNR, pour la réduction des normes environnementales, pour une meilleure prise en compte des aléas climatiques dans les cultures, entre sécheresses et pluies diluviennes, ou encore pour la simplification du «millefeuille administratif» qui s'applique aux agriculteurs.
Depuis début octobre, les actions se multiplient en régions : une génisse éventrée par un loup déposée devant une sous-préfecture du Doubs, une veillée funèbre tenue à «la mémoire de l'agriculture française» en Corrèze, ou encore des chrysanthèmes disposés au pied de croix symbolisant des éleveurs des Vosges abandonnés par le groupe laitier Lactalis. Partie l'an dernier d'un Tarn, en cruel manque d’eau, la mobilisation est cette fois attisée par les problèmes dus à l'excès d'eau. La France a connu en 2024 sa pire récolte de blé en 40 ans et vu ses vendanges chuter d'un quart.
Des Pyrénées à la frontière belge, les troupeaux de vaches et de brebis subissent des maladies menaçant la fertilité des animaux survivants et donc la production future. «Sans réponse structurelle, la crise n'a jamais cessé et elle s'est largement aggravée du fait des aléas climatiques», souligne Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne.
Annie Genevard met en garde contre les blocages
Depuis janvier, le gouvernement a multiplié les engagements, débloqué des centaines de millions d'euros d'aides, mis sur les rails une loi d'orientation agricole et s'est attaqué au millefeuille administratif dénoncé par les exploitants. La ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, a ainsi évoqué son «obsession» à honorer les engagements pris, à l'instar d'un «contrôle administratif unique» annuel des exploitations ou des «prêts garantis par l'Etat».
Si cette dernière dit «comprendre» la colère, elle a néanmoins posé quelques mises en garde ce mardi : «Il ne faut pas de violence à l'égard des forces de l'ordre, pas de dégradation des biens publics parce que c'est le contribuable in fine qui le paie, pas de désordre au moment où on approche les fêtes de Noël qui sont tellement importantes pour nos petits commerçants, nos artisans», a-t-elle déclaré.
«Il faut pouvoir acheminer l'alimentation, servir les commerces dans lesquels les Français s'approvisionnent. J'invite chacun à l'esprit de responsabilité», a-t-elle ajouté, appelant à ne «pas rompre ni abimer le lien entre les Français et les agriculteurs».
Mais à l'approche des élections professionnelles agricoles (en janvier), une source syndicale reconnaît une «tentation de la surenchère» entre les organisations, mais aussi du côté de la classe politique. Par ailleurs, concernant l’accord UE-Mercosur, même en cas de véto de la France, c’est la Commission européenne qui a mandat pour les 27 pays de l’Union. Elle pourrait donc contourner ce véto en retoquant une partie du traité. Pas quoi rassurer nos agriculteurs.