Alors que ce dimanche 13 octobre marque les un an de l’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard à Arras (Pas-de-Calais), l’assaillant, Mohammed Mogouchkov, toujours en vie, attend d’être jugé.
Des investigations qui aboutissent. Un an après l'assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras (Pas-de-Calais), les juges antiterroristes semblent avoir mis au jour les responsabilités dans cet attentat où, fait rare, l'assaillant est encore en vie.
Pour rappel, le 13 octobre 2023, Mohammed Mogouchkov, un jeune homme Russe originaire d'Ingouchie, s'était rendu dans son ancien lycée pour y poignarder l'un de ses anciens professeurs, Dominique Bernard, alors âgé de 57 ans. Durant l'attaque, l'assaillant avait aussi blessé un professeur d'EPS et deux employés de l'établissement, avant d'être interpellé par la police.
Peu après les faits, douze autres personnes avaient été placées en garde à vue. Dix avaient été relâchées faute d’éléments, parmi lesquels se trouvaient notamment la mère de l'assaillant - en opposition avec son fils -, son frère aîné - lui-même condamné pour ne pas avoir dénoncé un projet d'attentat aux abords de l’Élysée -, mais aussi un prisonnier radicalisé. Mohammed Mogouchkov, son petit frère et son cousin avaient été mis en examen. Un an après, ils restent les seuls poursuivis.
L’enseignant ciblé délibérément
Le 17 octobre, Mohammed Mogouchkov était mis en examen pour assassinat et tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Depuis, lors des trois interrogatoires organisés par les enquêteurs, l'assaillant a bel et bien assuré avoir volontairement ciblé le professeur de français Dominique Bernard, car il enseignait «l'une des matières où on transmet la passion, l'amour, l'attachement du système en général de la République, de la démocratie, des droits de l'Homme».
«La particularité de cet attentat est que l'assaillant est encore en vie et revendique une contestation violente des valeurs républicaines. On assiste à une focalisation assez nouvelle, de la part de la mouvance islamiste, sur l'école de la République», a estimé l'avocat Richard Malka, qui représente l'épouse de Dominique Bernard.
Lors de l'enquête, Mohammed Mogouchkov a répété avoir agi seul, en élaborant un plan «une à trois semaines» avant l'attentat. «C'est Allah, c Lui Seul, qui m'a commandité. (...) Le Coran, si chaleureux, c lui qui m'a chauffé, ses pages, ses versets (sic)», avait-il écrit dans un «poème» de huit pages qu'il a rédigé en prison.
Le cadet et le cousin mis en cause
Quant à son frère, aujourd'hui âgé de 17 ans, ce dernier a été écroué et est poursuivi pour complicité d'assassinat et de tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Et pour cause, le cadet de Mohammed Mogouchkov possédait un couteau et avait confié en octobre aux enquêteurs avoir répondu aux questions de son frère sur son maniement «quelques semaines avant l'attentat». Il a aussi expliqué «parler de tout» avec Mohammed Mogouchkov, même de décapitation.
La veille de l'attentat, il a raconté avoir contacté son cousin, pensant que Mohammed Mogouchkov préparait une «action violente» ou un «départ pour le jihad» mais pas un attentat. En mai, il avait nuancé son propos en évoquant «le stress» et aurait «grossi mes propos». Leur cousin, aujourd'hui âgé de 16 ans et placé sous contrôle judiciaire, est poursuivi pour abstention volontaire d'empêcher un crime, accusé d'avoir été informé du projet et de ne rien avoir fait pour l'empêcher.
Ce dernier a néanmoins nuancé les faits : quand le frère lui a confié, le matin-même, qu'il craignait que son aîné «Mohammed fasse de la merde», il a seulement pensé à un départ de Mohammed en Ingouchie. À la mi-août, la juge a rejeté sa demande de démise en examen.
De nombreux témoins entendus
De nombreux témoins ont été entendus par les enquêteurs ces derniers mois, dans le but d'esquisser un profil des mis en cause, en passant par d'anciencs professeurs du terroriste, des camarades de classes... Les investigations techniques se poursuivent aussi pour «maîtriser l'ensemble des connexions distantes que (Mohammed Mogouchkov) a pu (...) avoir par téléphone avec des personnes plus ou moins proches, dans le réseau relationnel mais aussi sur le plan géographique», a expliqué le procureur antiterroriste Olivier Christen, dans un entretien accordé mercredi à La Voix du Nord.
«Ces investigations concernent l'environnement familial, amical et numérique, en France et à l'étranger», a précisé une source proche du dossier.
Les frères Mogouchkov étaient notamment en contact téléphonique avec leur père, fiché S pour radicalisation islamiste et expulsé de France en 2018. Après l'attentat, celui-ci avait condamné l'acte de son fils, tout en expliquant en vouloir à la France qui «déteste l'islam».
Par ailleurs, l'enregistrement dans lequel Mohammed Mogouchkov a prêté allégeance à Daesh avant l'attentat a été envoyé «vers deux comptes Telegram administrés par Daesh», selon les enquêteurs.
Dans le détail, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a enregistré 25 parties civiles. Parmi elles, Isabelle Bernard, épouse du professeur. Fin décembre 2023, elle avait indiqué aux juges que son mari n'avait pas reçu de menace avant d'être tué. «J'apprends à vivre l'absence», avait-elle sobrement témoigné en audition.