En direct
A suivre

Transparence salariale : ce qui va changer d’ici à 2026 dans les entreprises

D'après les chiffres de l'Insee, à temps de travail égal, les femmes gagnent en moyenne 14,8% de moins que les hommes dans le secteur privé. [Adobe stock/Formatoriginal]

Une directive européenne va imposer aux entreprises d'ici 2026, la publication des salaires de tous les collaborateurs afin, notamment, de lutter contre les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Si cette mesure suscite des espoirs du côté des salariés, les employeurs sont quant à eux plus sceptiques.

Moins de deux ans pour changer la loi. En juin 2023, une directive européenne visant à «renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations» avait été votée. Elle s'appliquera dès l'entretien d'embauche, où les candidats devront systématiquement être informés de la rémunération du poste sur lequel ils postulent. Puis, au sein même de l'entreprise, où les employeurs devront communiquer régulièrement sur les salaires en interne. 

Selon la directive, les États membres de l'Union ont trois ans à compter de cette date, pour transposer cette mesure européenne dans leur droit national, soit d'ici à 2026. Cette directive suit une évolution mondiale sur la question puisque des pays comme l’Islande, précurseur en la matière, mais aussi certains États américains ou encore le Brésil plus récemment, ont déjà œuvré pour mettre en place une transparence salariale.

L’idée repose sur le fait que si l’État ne peut agir directement sur les salaires du privé, sauf en définissant un minimum légal, une loi de transparence permettrait d’offrir un outil aux employées pour constater les inégalités et les combattre. 

Un index inefficace 

En France, il existe déjà depuis 2019 un index d'égalité entre les femmes et les hommes, ou «index Pénicaud», du nom de l'ancienne Ministre du Travail. Il oblige les employeurs d’au moins 50 salariés à mesurer les inégalités de salaire et de carrière dans leur entreprise, sur la base de 4 ou 5 critères. En cas de mauvais score, des mesures de correction doivent être mises en place et des sanctions sont prévues. Mais l'index est décrié. Même le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) avait estimé en mars 2024 qu'il ne «remplissait pas toutes ses promesses». 

En effet, en cinq ans, seules de simples mises en demeure et 42 pénalités financières ont été prononcées. Ensuite, l'index n'est disponible que pour 26% des salariés du privé, car seulement 1% des sociétés déclarent pouvoir l'appliquer. Enfin, la méthodologie est problématique puisque de nombreux biais permettent d’être «surnoté» et que le principe repose sur de l’auto-contrôle, ce qui induit une pleine volonté des employeurs, ce qui n’est pas toujours constaté au sein des entreprises. 

Par ailleurs, même si une loi datant de 1983 exige «une rémunération égale à travail égalé», selon la dernière étude de l'INSEE de 2023, le salaire des femmes reste encore en moyenne 15% inférieur à celui des hommes dans le secteur privé. Un chiffre proche de la moyenne européenne qui était de 12,7% en 2021. Au niveau européen, cette loi est donc vue avant tout comme un outil permettant de lutter contre les inégalités femmes/hommes. La publication des salaires permettrait aux employées de prendre conscience de discriminations potentielles. 

Une baisse globale des salaires redoutée 

Si cette directive semble plutôt attendue par les employés, pour certains, cette mesure de transparence pourrait avoir aussi des aspects négatifs. À commencer par la crainte que des patrons choisissent tout simplement de ne plus augmenter personne pour s’éviter des mécontentements ou des jalousies entre salariés, ce qui entrainerait, de fait, une baisse globale des salaires.

Deux économistes britanniques, Zoë B. Cullen et Bobak Pakzad-Hurson, ont ainsi théorisé que le salaire moyen baisserait de 2% («Equilibrium Effects of Pay Transparency», mai 2023). Les auteurs se sont notamment appuyés sur le cas de différents États américains ayant déjà légiféré sur la transparence salariale. 

Par ailleurs, si les employeurs semblent jusque-là plutôt réticents à l’idée de mettre en place une telle directive, c'est aussi en raison des potentiels remous que cette mesure pourrait imposer. Si l’argument des problèmes à l’embauche a pu être soulevé, la réticence se situe en réalité moins à l'étape de la candidature, qu'au niveau interne.

Et pour cause, au sein d’une entreprise, la question des salaires est parfois encore taboue, notamment chez les «anciennes» générations, ou du fait de la concurrence entre les salariés. S'ils tendent à se perdre avec les nouvelles générations, certains employeurs utilisent encore ce «secret des salaires» pour gagner un avantage dans les négociations salariales. 

Pourtant, la directive européenne prévoit que les employeurs puissent rémunérer différemment des salariés accomplissant un même travail, mais «sur la base de critères objectifs, non sexistes et dépourvus de tout parti pris, tels que la performance et la compétence». La question repose donc ici sur ce qu'on entend par «critères objectifs». 

Une loi insuffisante pour combattre les inégalités ? 

Néanmoins, une telle mesure pourrait ne pas suffire à combattre des inégalités «ancrées dans notre société». Et pour cause, les hommes et les femmes ne travaillent pas toujours majoritairement dans les mêmes secteurs, selon les données de l'Insee, ce qui induit des différences de rémunérations moyennes.

D’autre part, il existe «une intériorisation de ces inégalités de la part des femmes elles-mêmes», qui ont parfois tendance à «moins négocier ou moins postuler pour des postes si elles estiment qu’elles ne sont pas sûres de répondre à tous les critères exigés», a rappelé Annabelle Hulin, professeure des Universités à l'IAE de Tours. C’est une des raisons qui explique que les femmes sont moins représentées dans les postes de direction.

Du côté des salaires comme des syndicats, on attend donc de voir comment le gouvernent français retranscrira la directive. Leur principale attente concerne notamment le volet annoncé des «sanctions». 

Car là aussi, la directive européenne prévoit bien «un dispositif de sanction effectif, proportionné et dissuasif, tenant compte de toute circonstance aggravante ou atténuante pertinente applicable aux circonstances de la violation».

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités