Ce mardi 17 octobre, plusieurs associations ont alerté sur le nombre grandissant d'enfants sans-abri en France. Elles demandent la création d'une commission de travail sur le sujet.
«J'ai 15 ans, je vis dans un 9m2 à trois, dans un hôtel insalubre avec des cafards et des rats», a raconté Racha, 15 ans, la gorge serrée par l'émotion. Ce mardi 17 octobre, l'adolescente s'est exprimée lors d'une conférence de presse tenue par plusieurs associations, visant à alerter sur l'augmentation du nombre d'enfants sans-abri. Ils étaient 2.822 à dormir dehors le 2 octobre, un chiffre en hausse de 42% par rapport à fin août.
Cette situation «d'urgence sociale» est d'autant plus préoccupante que les associations estiment ces chiffres sous-évalués. En présence de quatre députés et alors que le Projet de loi de finances est présenté à l'Assemblée nationale à partir d'aujourd'hui, le Collectif des associations unies, l'Unicef France, le collectif Jamais sans toit et la Fédération de parents d'élèves FCPE étaient réunis pour demander la création d'une commission de travail sur le sujet.
Le 2 octobre en France, 2 822 enfants étaient sans solution d’hébergement - soit + 42% depuis fin août. @UNICEF_france et @CollAssoUnies sont à @AssembleeNat pour alerter les pouvoirs publics sur le sans-abrisme des enfants qui ne cesse d'augmenter. https://t.co/WftrxU20b4 pic.twitter.com/cEZNpKjhRL
— UNICEF France (@UNICEF_france) October 17, 2023
Pour l'heure, dans le cadre du PLF, le gouvernement a seulement prévu de maintenir les 203.000 places d'hébergement d'urgence déjà existantes. Les associations, elles, estiment que 10.000 places supplémentaires sont nécessaires pour répondre aux besoins.
D'après Béatrice Lefrançois, directrice générale de l'Unicef France, «42.000 enfants sont hébergés en France aujourd'hui, 30.000 en hôtel et donc dans des conditions qui ne respectent pas leurs droits fondamentaux». Souvent, des initiatives locales se mettent en place pour pallier le manque de solutions et des familles sans domcile sont installées dans des écoles ou des gymnases. Depuis la rentrée, six écoles ont été occupées pour mettre des familles à l'abri à Lyon, Bordeaux, Toulouse et Tours.
151 enfants à la rue à Lyon
«En mettant ces bâtiments à disposition, les collectivités sortent de leurs compétences pour faire face à l'urgence et pallier l'inaction de l'Etat», a fustigé la députée écologiste du Rhône, Marie-Charlotte Garin. Selon elle, «18 personnes dont 13 enfants sont hébergées en urgence dans l'école Gilbert Dru de Lyon depuis le 17 septembre» et «151 enfants sont à la rue à Lyon», sans compter les mineurs non accompagnés.
A l'heure actuelle, le 115 (numéro d'urgence d'aide aux personnes sans-abri) est tellement saturé que les familles dans le besoin comme les travailleurs sociaux ne parviennent plus à le joindre ou renoncent même à le faire. Selon Nathalie Latour, porte-parole du Collectif des associations unies et directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité, cela conduit à mettre en place un «tri des vulnérabilités et des précarités» jugé cruel.
Ce n'est pas normal qu'un enfant se demande où il va dormir le soir.Racha, 15 ans
«Le métier des écoutants du 115, aujourd'hui, c'est de faire des listes dans un tableau excel et décider à qui, sur la centaine de personnes qui a appelé, les deux ou trois places disponibles seront attribuées, a enchéri William Martinet, député La France insoumise des Yvelines. C'est terrible pour les gens à la rue mais aussi pour les travailleurs sociaux.»
D'après Béatrice Lefrançois, «toutes les études montrent que cette exclusion au logement met en péril la santé mentale et le développement global des enfants». Une évidence pour Racha qui dit «avoir été privée d'une partie de [son] enfance». «Pour moi ce n'est pas normal qu'un enfant se demande où il va dormir le soir [...] J'ai été privée d'intimité, scolairement ça a été très dur [...] Je ne souhaite ça à aucun enfant, je ne me suis pas sentie comme un être humain».
«On retrouve notre humanité»
Bibiche Kudima connaît elle aussi l'angoisse de ne pas savoir de quoi demain sera fait. Avec ses trois enfants, elle a vécu à la rue pendant cinq mois dans deux tentes, à Lyon. «Il faisait froid, s'est-elle souvenue. Je me suis débrouillée pour trouver une table et des chaises, pour que les enfants puissent faire leurs devoirs et j'ai acheté un réchaud pour leur faire à manger».
Vivant sur une place «infestée de rats» et «mal fréquentée», la maman a craint pour la sécurité de ses enfants. En intégrant le collectif Solidarité entre femmes à la rue, elle a réalisé que d'autres familles partageaient un quotidien semblable. «Les mamans à la rue ne dorment jamais pour veiller sur le sommeil de leurs enfants», elles ont toutes peur «des agressions, des viols» et que leurs petits «n'aient pas assez à manger».
Après avoir été hébergée dans un hôpital, des écoles et un gymnase, Bibiche Kudima a obtenu une place dans une ancienne maison de retraite. Depuis le déménagement, il y a un mois, elle observe la transformation de ses enfants : «Nous mangeons bien, nous dormons bien [...] on retrouve notre humanité. Nos enfants sourient, ils n'ont plus honte devant leurs camarades. Ils sont moins fatigués et sont enfin capables d'apprendre, de progresser. En tant que mère, c'est un vrai soulagement.»
Reste que la petite famille «ne sait pas vraiment ce qui se passera dans un an». Voilà pourquoi les associations ont publié une tribune transpartisane signée par 55 parlementaires, dans laquelle elles réclament des mesures structurelles et de long terme.
Elles plaident pour la mise en place d'une politique pluriannuelle afin de «garantir de facon immédiate et inconditionnelle l’hébergement d'urgence mais aussi l'accès à un logement durable». Béatrice Lefrançois a rappelé qu'il s'agit là d'un droit fondamental, inscrit dans la Convention internationale des droits de l'enfant, signée par la France en 1990.