Dénonçant une «crise» du secteur de l'aide à domicile dont les personnes en situation de handicap pâtissent, deux association ont décidé de saisir ce mercredi la Défenseure des droits. La présidente d'APF France handicap, Pascale Ribes, explique cette démarche à CNEWS.
En France, les personnes en situation de handicap «ne sont pas traitées comme des humains à part entière», selon Pascale Ribes, présidente d'APF France handicap. Avec l'AFM-Téléthon, cette association a décidé de saisir la Défenseure des droits à ce sujet, ce mercredi 4 octobre. Toutes deux dénoncent une pénurie d'aidants mais aussi l'inaction des pouvoirs publics qui, dans certaines situations, peut aller «jusqu'à la mise en danger».
Quelle est la situation du secteur de l'aide à domicile aujourd'hui en France ?
Cela fait de longs mois que nous alertons sur le fait que les métiers de l'aide à domicile sont en crise. Non seulement on n'a pas le nombre suffisant de personnels formés mais les plans d'aide accordés aux personnes en situation de handicap ne sont plus adaptés aux besoins de chacun.
Normalement les Maisons départementales des personnes handicapées élaborent un plan d'aide adapté après un examen à domicile. Mais, de plus en plus, on observe qu'ils sont revus à la baisse au moment de leur révision. Certaines personnes ont droit à deux fois moins d'heures d'aide à domicile, comme si leur handicap avait soudainement disparu.
Quel impact a cette situation sur le quotidien des personnes en situation de handicap ?
Les aides humaines comme techniques doivent être taillées à la mesure des besoins de la personne. Si elles ne sont pas au rendez-vous, vous ne pouvez plus vivre la vie normale que vous avez choisie. Vous ne pouvez plus manger normalement, ni aller aux toilettes, ni vous habiller, ni même vous lever.
Il faut comprendre que lorsque l'aide humaine est réduite, une personne qui a besoin d'être assistée dans tous les gestes du quotidien va être obligée de réserver le peu d'aide qui lui reste au strict nécessaire, aux besoins essentiels. Mais elle n'a plus de vie sociale.
C'est comme si on les gardait enfermées à domicilePascale Ribes, présidente d'APF France handicap
La vie de ces personnes est conditionnée aux aides humaines. Sans une assistance tout au long de la journée, elles sont condamnées à attendre dans un coin que la prochaine personne vienne les assister plus tard. C'est comme si on les gardait enfermées à domicile.
Dans quel(s) cas cela peut aller jusqu'à une mise en danger ?
Un exemple tout bête, sans même parler de situation de santé dégradée : le fait de ne pas pouvoir aller aux toilettes au moment où on en a besoin peut être très dangereux. Si vous manquez d'aide humaine, vous allez potentiellement prendre la décision de ne pas boire, pour ne pas vous retrouver coincé. Cela peut déjà provoquer des infections urinaires et autres complications.
Mais, si vous décidez de boire quand même et que l'aide arrive trop tard pour vous conduire aux toilettes, vous pouvez finir aux urgences et même mourir. Une vessie qui n'est pas vidée au moment où elle en a besoin entraîne des complications importantes. Je connais une personne qui est décédée à l'hôpital à cause de ça, elle a contracté une septicémie liée directement à ce problème.
Dans cette situation, les personnes en situation de handicap peuvent-elles encore rester à domicile ?
A cause de ces manquements ces personnes sont assez vite en danger quand elles sont à domicile et n'ont pas d'autre choix que de vivre en foyer ou être hospitalisées. Mais on les place dans des établissements qui sont là encore confrontés à une pénurie de personnel.
Souvent on dit «c'est pas grave elles ont de la famille pour s'occuper d'elles». Mais, déjà, toutes n'ont pas de famille et quand bien même, la solidarité familiale ne peut pas être un palliatif à la solidarité nationale. Le devoir de secours aux personnes démunies et désavantagées est inscrit dans de nombreux textes fondamentaux en France. Là, on se défausse de manière totalement disproportionnée sur les familles.
Sans aide, vous ne pouvez plus manger ni aller aux toilettes, ni vous habillerPascale Ribes, présidente d'APF France handicap
Si certaines veulent s'occuper entièrement d'un proche handicapé pourquoi pas, mais il faut que ce soit un choix. Ça ne peut pas être subi parce que ça implique que tout tourne autour de la personne handicapée et de son bien être.
Cela a des incidences sur la vie sociale, sur les relations familiales, sur la santé mentale. Les familles s'épuisent à pallier les manquements des pouvoirs publics. Certaines sont plus isolées que d'autres et n'ont droit à aucun répit. Cela peut conduire à des situations tragiques où les proches n'en peuvent plus et craquent, jusqu'à tuer leurs enfants.
Quelles mesures doivent être prises pour rétablir un service d'aide à domicile satisfaisant ?
Le problème est systémique donc il faudra une réforme véritablement structurelle pour le corriger. Mais, en attendant, pour desserrer l'étau, il y a des mesures d'urgence à mettre en place.
Par exemple, on n'arrive pas à recruter de professionnels de qualité parce qu'ils ne sont pas assez formés, mais aussi parce que la profession n'est pas attractive : les salaires sont bas pour un travail quand même difficile. Il faut revaloriser ces métiers, pas seulement au niveau des salaires mais globalement, car ils sont importants.
Il faut aussi faire en sorte que les plans d'aide humaine soient accordé à la hauteur des besoins des personnes en situation de handicap. On ne peut pas continuer à réduire drastiquement le nombre d'heures d'aide à domicile.
Qu'attendez-vous de Claire Hédon, la Défenseure des droits ?
C'est une autorité indépendante qui fait des recommandations pour changer les lois et le système. Elle est aussi en charge de l'application de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Or, ce qui se passe en ce moment en France est contraire à cette convention, qu'elle a ratifiée. Elle a le pouvoir de dénoncer ça.
Il faut savoir qu'on avait déposé il y a quelques années une réclamation collective auprès du Conseil de l'Europe, pour violation des droits humains des personnes en situation de handicap en France. Début 2023, cette instance a condamné la France, notamment sur l'absence de service d'aide humaine à hauteur des besoins.
La Convention internationale stipule que l'aide fournie doit permettre une véritable mise en oeuvre du droit à l'autonomie et à l'intégration et la participation sociale. Ce droit n'est pas effectif en France. En l'état actuel des choses, les personnes en situation de handicap sont traitées au mieux comme des objets de soin mais pas du tout comme des sujets de droit.