La justice a prononcé un non-lieu dans l’enquête au long cours sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone, pesticide cancérigène interdit depuis 1993. Les deux juges d’instructions ont toutefois reconnu un «scandale sanitaire».
Une décision sensible. Deux juges d’instruction parisiennes en charge du dossier du chlordécone ont prononcé un non-lieu définitif dans l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles à ce pesticide. Une décision qui a suivi les réquisitions du parquet de Paris fin novembre.
Si elles ont prononcé un non-lieu, les deux magistrates ont toutefois reconnu un «scandale sanitaire» sous la forme d'«une atteinte environnementale dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants» de Martinique et de Guadeloupe.
Mais, selon l’ordonnance de non-lieu signée lundi et dont l’AFP a eu connaissance, elles ont pointé la difficulté de «rapporter la preuve pénale des faits dénoncés», «commis 10, 15 ou 30 ans avant le dépôt de plaintes». La première plainte n’avait été déposée qu’en 2006.
Les juges ont également souligné «l'état des connaissances techniques ou scientifiques» au moment où les faits ont été commis : «le faisceau d'arguments scientifiques» au début des années 1990 «ne permettait pas de dire que le lien de causalité certain exigé par le droit pénal» entre la substance en cause d'un côté et l'impact sur la santé de l'autre, «était établi».
Avançant également divers obstacles liés au droit, à son interprétation et son évolution depuis l'époque d'utilisation du chlordécone, les magistrates ont attesté de leur «souci» d'obtenir une «vérité judiciaire», qui a toutefois abouti à une impossibilité à «caractériser une infraction pénale».
Lors de ses réquisitions en novembre dernier, le parquet de Paris avait demandé un non-lieu dans ce dossier, estimant notamment que les faits dénoncés étaient prescrits.
90% de la population adulte des deux îles est contaminée
Interdit en métropole dès 1990, le chlordécone a continué à être autorisé en Martinique et en Guadeloupe, sous dérogation, pour lutter contre le charançon dans les bananeraies. Le pesticide a provoqué une pollution importante et durable des deux îles et est soupçonné d’être à l’origine d’une vague de cancers.
Ce n’est que quinze ans après les alertes de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) qu’il a été banni des Antilles. Selon Santé publique France, plus de 90% de la population adulte des deux îles est contaminée par ce pesticide.
C’est dans ce cadre qu’en 2006, plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible. Une information judiciaire avait ensuite été ouverte au tribunal judiciaire de Paris en 2008.
Début décembre, après l’annonce des réquisitions de non-lieu, les manifestations et rassemblements se sont multipliés en Martinique. Le 10 décembre, 800 personnes avaient ainsi défilé à Fort-de-France. Manifestants et élus dénonçaient alors un risque de «déni de justice».