Lancées la semaine dernière, les réquisitions dans les raffineries et les dépôts se sont poursuivies lundi 18 octobre sur les sites de Feyzin (Rhône) et de Mardyck (Nord). Mais quelle est la signification de ce terme sur le plan juridique et dans les faits ?
L’épineux sujet de la réquisition est au cœur de l’actualité avec la pénurie de carburants qui dure en France. Mardi dernier, la Première ministre Elisabeth Borne a ainsi annoncé le lancement d’une procédure de réquisition des personnels de la raffinerie d’Esso-ExxonMobil à Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime).
Ce lundi, le gouvernement, par l'intermédiaire du ministère de la Transition énergétique, les a poursuivies en annonçant la réquisition du dépôt de carburant de Feyzin (Rhône), puis de celui de Mardyck (Nord).
La réquisition est autorisée par la loi dans trois cas
La réquisition de biens ou de personnes est autorisée par la loi française dans trois cas de figures distincts :
- Via un décret en conseil des ministres, pour une «menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population» (article L.1111-2 du code de la défense) ;
- Via un arrêté préfectoral, pour un «afflux de patients ou de victimes ou si la situation sanitaire le justifie» (article L.3131-8 du code de la santé publique) ;
- Via un arrêté préfectoral pour une «urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige» (article L.2215-1 du code général des collectivités territoriales).
Dans le troisième cas retenu par le gouvernement pour invoquer une réquisition, la loi octroie au préfet le droit de «réquisitionner tout bien ou service, de requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et de prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées».
Dans les faits, c’est la direction du dépôt qui désigne les employés devant assurer un service minimum. Ces derniers sont ensuite notifiés de la réquisition par les forces de l’ordre, venant directement les avertir à leur domicile.
Des précédents en 2010
Pour mémoire, à la suite d’un mouvement de grève national touchant les raffineries françaises en octobre 2010, la préfecture de Melun (Seine-et-Marne) avait pris un arrêté pour réquisitionner les salariés grévistes de l’un des sites pétroliers de la région.
Cette décision avait été suspendue par le tribunal administratif, reprochant alors à l’entreprise d’avoir réquisitionné la «quasi-totalité du personnel de la raffinerie», conduisant à «instaurer un service normal et non un service minimum».
Au contraire, le Conseil d’Etat avait validé la même année la réquisition de salariés sur le site de Gargenville (Yvellines), jugeant la mesure «proportionnée aux nécessités de l’ordre public».
Les syndicats envisagent un recours en justice
Ces annonces gouvernementales successives ont vivement fait réagir les syndicats engagés sur ce dossier. Le secrétaire général CGT à ExxonMobil Chimie, Germinal Lancelin, a jugé «illégale» la mesure car contraire au principe du droit de grève, avant d’annoncer un recours en référé devant le tribunal.
Le tribunal administratif de Rouen a finalement rejeté vendredi dernier le recours en référé de la CGT contestant les arrêtés préfectoraux de réquisitions de personnels grévistes du dépôt de la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime), selon une source judiciaire relayée par l'Agence France-Presse. Pour justifier cette décision, le tribunal administratif a estimé que la réquisition présentait «un caractère nécessaire pour prévenir les risques d’atteinte à l’ordre public eu égard à la durée des défaillances d’approvisionnement causées par la grève».
De son côté, Thierry Defresne, le secrétaire CGT du comité européen de TotalEnergies, a assuré auprès du journal Le Monde qu'une réquisition était justifiable pour les secteurs clés de l’économie française. «Si c’est pour servir aux services d’urgence, ouvrir des stations pour les ambulances, infirmiers et aides-soignants, c’est O.K. Si c’est pour servir tous les clients de Total, hypermarchés, indépendants, stations BP, ce n’est pas possible. Cela ne justifie pas la réquisition», a précisé ce dernier.