Quelques jours avant de rendre son rapport sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, la Ciivise a formulé cinq recommandations a mettre en place d'urgence.
En un an, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a recueilli 16.454 témoignages de victimes. En attendant de rendre son rapport, mercredi 21 septembre, elle profite de l'ouverture prochaine des débats sur le vote du budget 2023 pour interpeller les pouvoirs publics. La Commission leur présente cinq mesures à adopter d'urgence pour lutter contre ces violences.
Elle plaide notamment pour un repérage systématique des victimes. «Ces 160.000 enfants victimes chaque année, il faut aller les chercher avant leur 44 ans, âge moyen de nos témoins», a développé le juge Edouard Durand, coprésident de la Ciivise, auprès du Journal du dimanche.
Ainsi, la Commission demande à tous les professionnels en contact avec des enfants, infirmières scolaires, assistantes sociales ou médecins, d'aborder avec eux la question des violences sexuelles.
Le repérage systématique par tou-te-s les professionnel-le-s
La création d'une cellule de soutien pour les professionnel-le-s
Le remboursement des soins spécialisés
La lutte contre la cyber-pédocriminalité
Une grande campagne d'information— Commission indépendante inceste (@CIIVISE_contact) September 18, 2022
Mais ces professionnels doivent eux-mêmes être accompagnés dans cette démarche. Voilà pourquoi la Ciivise recommande dans un deuxième temps de les épauler grâce à une «cellule de soutien et de conseil», disponible par téléphone, pour savoir comment réagir en cas de révélation.
«Un médecin libéral, isolé dans son cabinet, face à un enfant qui lui confie être victime, se trouve dans une situation de stress. Il doit pouvoir appeler une cellule de soutien pluridisciplinaire, où il va pouvoir parler à d'autres médecins qui vont l'aider à rédiger le signalement», a expliqué le juge Durand.
La Commission insiste également sur la nécessité d'attribuer des moyens supplémentaires, humains comme matériels, à la lutte contre la cyber-pédocriminalité. Les services de police judiciaire spécialisés doivent être renforcés, notamment parce que le «grooming», cette pratique des prédateurs qui approchent les enfants sur Internet pour les agresser sexuellement, est de plus en plus fréquent.
En France, on ne compte actuellement qu'un enquêteur spécialisé pour 2,2 millions de personnes, contre «un pour 100.000» aux Pays-Bas et «un pour 200.000» en Grande-Bretagne, d'après les experts de la Ciivise.
Des soins remboursés
Un véritable manque, sachant que «les enquêteurs de l'Office central spécialisé» sont en mesure de «savoir en temps réel qui consulte des fichiers pédopornographiques». Ils ont même pu «identifier des enfants séquestrés à l'étranger et les libérer avec les autorités policières de ce pays», a ajouté le juge Durand.
La Ciivise plaide aussi pour le lancement d'une grande campagne nationale sur le sujet et recommande de garantir le remboursement des soins spécialisés en psychotrauma pour les victimes. Selon Edouard Durand, «certains nous disent "Je me suis ruiné pour payer les soins" ou "Je ne peux pas emmener mon enfant à des soins spécialisés en psychotrauma car je n'ai pas les moyens"».
Les travaux de la Ciivise ont été lancés en 2021, dans le sillage de la publication d'un livre de Camille Kouchner. Dans «La familia grande», elle accuse son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, de viols sur son frère jumeau. Ce récit avait libéré la parole de milliers de victimes, dont les témoignages avaient déferlé sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #MeTooInceste.
Une ligne téléphonique dédiée, ouverte par la Commission en septembre 2021, avait reçu des centaines d'appels dès les premières heures. Des réunions publiques ont également été organisées à travers la France, pour permettre aux victimes de rompre leur solitude, leur mutisme et rencontrer les associations.
Une réunion publique est à nouveau prévue ce mercredi, à Paris, et la Ciivise rendra son rapport le même jour. Le document doit dresser le bilan des conséquences traumatiques que ces violences vécues dans l'enfance ont provoquées sur les adultes d'aujourd'hui. Il sera question de leur santé physique et psychique mais aussi de l'impact sur leur vie affective, sexuelle et professionnelle.