Fini le droit au silence. L'audition de Salah Abdeslam s'est poursuivi ce jeudi 14 avril. Le seul survivant du commandant jihadiste a donné sa version des faits sur cette «nuit de l'horreur» en tentant de lisser son image sans pour autant réussir à lever toutes les incohérences de son récit.
«On a dit tout et n'importe quoi sur moi. On a créé ce personnage que tout le monde veut voir aujourd'hui: ce monstre dépourvu d'humanité», a expliqué ce jeudi Salah Abdeslam. «C'est la dernière chance pour moi de m'exprimer».
Cependant, l'accusation a pointé dans cette nouvelle journée d'audition les failles, les incohérences, voire les mensonges dans son nouveau récit. En effet, quand la première assesseure s'étonne qu'il n'ait jamais parlé du projet d'attentat dans un café, Salah Abdeslam explique qu'il ne voulait «pas tout déballer» devant la juge d'instruction belge, la première à l'interroger après son arrestation en mars 2016. «Pourquoi je dis pas que je vais dans un bar ? Parce que ça m'aurait incriminé encore plus», ajoute ce Français de 32 ans.
L'assesseure poursuit sur d'autres «divergences» entre ses déclarations faites il y a six ans et celles de la veille à l'audience. Au lendemain de son interpellation, il disait déjà avoir «renoncé», mais qu'il devait se «faire exploser à l'intérieur du Stade de France» avec ses complices. Il parle également du «métro» emprunté le soir du 13 novembre 2015 pour «quelques arrêts», mais le conteste désormais. Ce même «métro», évoqué dans un fichier portant le nom «13-Novembre» dans l'ordinateur abandonné par la cellule jihadiste et retrouvé par la police belge trois jours après l'arrestation de Salah Abdeslam ?
«On a du mal à vous croire»
Dans ce fichier, cinq groupes ou cibles dont un «groupe métro», avec «à chaque fois des groupes de deux ou trois personnes», pointe l'avocate générale Camille Hennetier. N'est-ce pas «incongru» que Salah Abdeslam ait pour cible un café du XVIIIe arrondissement, «un endroit qui n'est pas mentionné» dans ce fichier et qu'il opère «tout seul», interroge-t-elle. «Je vois pas quelle difficulté je peux avoir à dire que je vais me faire exploser dans un métro ou dans un café», balaie l'accusé, d'un ton toujours aussi calme. Et ce café, insistent les avocats de parties civiles, s'il avait été «capable de le retrouver» le soir du 13-Novembre après des «repérages» avec son frère Brahim Abdeslam, qui se fera exploser au Comptoir Voltaire, pourquoi ne peut-il préciser aujourd'hui où il est ?
Plus les questions sont pressantes, plus Salah Abdeslam hésite dans ses réponses. Le café qu'il devait frapper était plutôt situé dans le «coin bobo» ou «populaire» du XVIIIe arrondissement ? «Bobo», répond l'accusé. «On a du mal à vous croire car toutes les autres opérations, elles sont faites à plusieurs», tonne Me Didier Seban. Salah Abdeslam perd patience: «si cette vérité ne vous convient pas, je m'en fiche». «J'ai essayé de faire attention à tout le monde et je n'ai reçu en retour que mépris. Maintenant je vais être un peu égoïste et penser à moi-même», s'entête-t-il.
Il continue pourtant à répondre à chacune des questions posées par les avocats de parties civiles, qui admettent «profiter» du fait qu'il parle après s'être tu pendant six ans. «Aujourd'hui, je ne regrette pas de m'exprimer. Hier (mercredi), je me suis senti écouté», justifie Salah Abdeslam.
Après plus de trois heures d'interrogatoire, il demande le pardon des familles, et de lui «donner la possibilité de retrouver (sa) famille». «Jamais, jamais», crie un homme dans la salle. Après une nouvelle série de questions et des tensions palpables, le président de la cour, Jean-Louis Périès, suspend l'interrogatoire de Salah Abdeslam, qui reprendra ce vendredi.