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L'édito d'Eugénie Bastié : «quelle place pour les idées ?»

Dans son édito de ce mercredi 6 avril, Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, se penche sur le phénomène de «dépolitisation», en pleine campagne électorale.

Le fond de l’air est gris. Alors qu’on s’inquiète en général de la «polarisation» grandissante des démocraties occidentales, c’est plutôt un vent de depolitisation qui guette la France. Selon un sondage publié par les Echos hier, 66% des sondés s’estiment sûrs d’aller voter. C’est moins qu’en 2017, où il étaient environ 75% à une semaine du premier tour. Cette abstention pourrait battre des records et atteindre jusqu’à 44% chez les jeunes entre 25 et 34 ans.

Mais au-delà même de ces chiffres alarmants, c’est un fond de léthargie démocratique qui se dégage de cette drôle de campagne, où aucun débat n’a eu lieu. Si les prémices de la campagne en automne avaient vu s’imposer le thème du choix de civilisation, où des visions du monde opposées s’étaient combattues, c’est la seule thématique du pouvoir d’achat qui prédomine désormais. Des grandes menaces existentielles qui pèsent sur l’avenir de la France, réchauffement climatique, déclassement économique, immigration massive, dislocation du commun, on est passé aux impératifs prosaïques : comment se chauffer, remplir son frigo et son plein d’essence. De la fin de la France à la fin du mois, du grand remplacement aux petits déclassements, la campagne présidentielle se termine en combats de chèques plutôt qu’en débat d’idées.

Bien sûr il y a les raisons conjoncturelles, l’inflation galopante provoquée par la crise du Covid, la guerre en Ukraine, un président candidat qui préfère rester à une altitude jupitérienne plutôt que de venir débattre dans l’arène avec ses adversaires. Mais il y a aussi une tendance plus profonde et plus grave, celle d’une dépolitisation souterraine de notre démocratie.

Comme le rappelaient Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier dans Le Figaro au lendemain du premier tour des élections régionales, où 66,7% des inscrits ne s’étaient pas déplacés, l’abstention n’est pas un phénomène conjoncturel mais un tendance de fond exprimant une «crise de foi républicaine». Dans une société de l’individu-roi et du citoyen consommateur, on se replie sur ses modes de vies, sa sphère privée, et le destin collectif de la nation n’intéresse plus.

De plus, dans une société française éruptive, on l’on obtient davantage à coups de cocktails molotov que par les urnes (comme l’ont montrée les gilets jaunes et l’exemple corse) le vote est perçu comme inutile.

Résultat, l’élection présidentielle, échéance reine de notre Vème République, où se décide le grand plan quinquennal de la France est réduite à une sorte de The Voice dépolitisé. Marine Le Pen joue l’état nounou, entre chats et pouvoir d’achat, le président sortant aligne un catalogue de mesures qu’on dirait calibré par un cabinet de conseil, Jean-Luc Mélenchon voit ses voiles gonflées moins par la qualité de sa campagne que par le réflexe du vote utile.

Cerise sur le gâteau, TF1 a annoncé que la soirée électorale serait remplacé par la diffusion du film «Les visiteurs». Ultime symbole de la mort du politique au profit du divertissement.

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