Alors que la 5e Nuit de la Solidarité organisée par la municipalité parisienne doit avoir lieu ce jeudi 20 janvier, Léa Filoche, l'adjointe à la mairie de Paris chargée des solidarités et de la lutte contre l'exclusion, explique la démarche de la Ville pour recenser les sans-abri et adapter en fonction ses politiques publiques.
L'an passé, 2.829 personnes à la rue avaient été décomptées lors de la 4e Nuit de la Solidarité. Un chiffre en baisse de 21 %, notamment grâce aux places d'hébergement d'urgence ouvertes par l'Etat pendant la pandémie de Covid-19. Qu'en sera-t-il cette année ? Grande nouveauté, l'édition 2022 sera métropolitaine, alors que 9 communes limitrophes de Paris se joignent à l'événement.
Quelles sont ces communes et comment va se dérouler cette nouvelle Nuit de la Solidarité ainsi élargie ?
C'est une édition qu’on a voulu «métropoliser» [...] La métropole du Grand Paris a été associée au dispositif, dès les travaux préparatoires de la Nuit de la Solidarité 2022. C'est une première tentative. Neuf villes de la métropole ont souhaité s'engager dans cette démarche auprès de la Ville de Paris : Saint-Denis, Aubervilliers, Bobigny, Bondy, Gagny, Romainville, Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis (93), ainsi que Courbevoie et Rueil-Malmaison, dans les Hauts-de-Seine (92).
Chacune d'entre elles a fait appel à ses propres bénévoles, et toutes ne décompteront pas forcément les personnes à la rue sur l'ensemble de leur territoire. Certaines ont préféré prioriser certains bouts de leur territoire. Comme c'était le cas à Saint-Denis (93) l'an dernier, la première ville francilienne a nous avoir suivis dans cette démarche.
D'autres villes étaient intéressées mais ont renoncé en raison du contexte sanitaire. C'est une première phase de la métropolisation, qui montera probablement en puissance dans les années qui suivent. En parallèle, plusieurs villes de province vont également organiser leur Nuit de la Solidarité dans la nuit du 20 janvier au 21 janvier : c'est le cas de Bordeaux, Lyon, Marseille et Toulouse, mais aussi Brest, Lorient et Rennes. Cela permettra d’avoir une vision assez large de la situation réelle du sans-abrisme en France.
Les chiffres sont plutôt stables d'une année sur l'autre. Pourquoi relancer l'opération tous les ans ?
Les trois premières éditions ont montré une stabilité des chiffres, mais l'an dernier, il y a eu une forte baisse de 21 %. Pour nous, c’est quand même une évolution significative. Pendant la crise sanitaire, l’Etat s’est beaucoup engagé dans l’ouverture de places d’hébergement, nous serons donc très attentifs aux chiffres de 2022 pour savoir si l’effort de l’Etat a perduré. C'est le premier enjeu pour nous.
L'autre enjeu est de connaître la répartition de ces personnes à la rue sur les différents arrondissements du territoire parisien. Cela nous permet ensuite de renforcer les dispositifs dans certains arrondissements en fonction des besoins. Dans le centre de Paris par exemple, on a eu des chiffres auxquels on ne s'attendait pas, particulièrement en 2019. On s'est notamment rendu compte qu'il y avait beaucoup de femmes à la rue dans le centre de la ville.
Pouvoir assurer un suivi social sans rupture et sans changement
A quoi vous servent ensuite ces résultats ?
Grâce au questionnaire que nous soumettons aux personnes à la rue, nous pouvons faire une photographie à un instant T du profil mais aussi du parcours des publics que nous rencontrons. Et cela nous permet de pouvoir inventer de nouveaux dispositifs et essayer de voir dans quelle mesure on peut rééquilibrer et améliorer ceux qui existent déjà.
Par exemple, en 2020, on a décidé d'ouvrir une bagagerie par arrondissement, face à la demande. Ce qui sera fait d'ici à la fin du mandat. Dans le centre de Paris, en raison du nombre important de femmes à la rue, nous avons ouvert une halte réservée aux dames, qui permet d'accueillir 45 femmes toutes les nuits et un peu plus en journée. Dans le 18e, nous avons aussi ouvert une halte de nuit réservée aux femmes dans les locaux de la mairie.
Nous avons également décidé d'étendre les horaires d'ouverture des 17 bains-douches et de réserver des créneaux pour les femmes, mais aussi de déployer des équipes mobiles qui vont «aller vers» les publics qui ne viennent pas dans nos dispositifs. C'est comme ça que nous avons appris que beaucoup des personnes à la rue n'étaient pas vaccinées parce qu'elles n'avaient pas accès à Doctolib. Elles bénéficient désormais d'un coupe-file dans certains centres de vaccination.
Un autre sujet sur lequel nous travaillons est l'accompagnement de ces personnes par les travailleurs sociaux, car nous avons constaté que quand on change de situation, quand on obtient ou perd un travail, quand on obtient ou perd un logement, on change de travailleur social. Un changement qui provoque souvent la rupture des suivis. Notre idée est de pouvoir assurer un suivi social sans rupture et sans changement, et ce, quelles que soient les évolutions.
L'an dernier, la ministre déléguée chargée du Logement, Emmanuelle Wargon, avait fait part de son ambition d’organiser une Nuit de la Solidarité nationale ? Avez-vous répondu à son appel ?
Ce serait très beau d’avoir une grande Nuit de la Solidarité nationale, et nous aurions bien besoin d’une photographie du sans-abrisme à l'échelle du pays. De notre côté, nous trouvons que cela a du sens et Paris a largement vocation à s'investir dans cet événement national. Pour l'anecdote, l'équipe d'Emmanuelle Wargon a même sollicité le CCAS (Centre communal d'action social) de la Ville, afin que nous partagions le travail que nous avons mis en place à Paris, sur nos formations et nos modalités de recrutement. Nous avons tout mis au pot commun.
La ministre avait annoncé vouloir l'organiser ce jeudi 20 janvier, le premier jour du recensement de l'INSEE, et n'a finalement pas pu le faire en raison de la réserve électorale à l'approche de l'élection présidentielle. C’est pour ça que la Nuit de la Solidarité nationale n’a pas lieu. Mais ce qui m’intéresse surtout c’est de savoir comment l’Etat derrière va venir accompagner les villes, et ouvrir des places d’hébergement d’urgence à l’aune des résultats de cette Nuit de la Solidarité nationale. J'espère qu'elle pourra avoir lieu l'année prochaine.
L'idée est aussi de changer le regard de la population sur ces sans-abri, de revenir sur certains préjugés. Parce qu'en réalité, on est loin du cliché du «clodo SDF qui pue». C'est en effet loin d'être la majorité des profils, on a beaucoup de jeunes, beaucoup de personnes qui sont hébergées chez des connaissances la nuit mais qui n'ont aucun endroit où passer leurs journées, beaucoup de femmes et de personnes âgées aussi. Tout comme beaucoup de travailleurs pauvres, qui viennent prendre leur petit déjeuner dans nos structures.
Pour moi, c'est aussi là le sens de cet événement, de mobiliser tous ceux que la question de la grande exclusion intéresse. Et les Parisiens sont très mobilisés et très engagés sur le sujet. On refuse des volontaires chaque année, on voit bien que les Parisiens se sentent très concernés. C'est aussi le moyen de faire savoir que même dans une capitale comme Paris, ville lumière qui a tant de richesses, métropole mondiale, qu'il y a aussi de la précarité et de la misère et qu'on ne peut pas se contenter de dire «c’est comme ça».