Magistrats, avocats et greffiers se rassemblent ce mercredi devant les tribunaux de France pour réclamer des moyens «dignes» pour la justice. Cette journée de «mobilisation générale pour la justice» intervient trois semaines après une tribune pour alerter sur leur situation.
«Nous ne voulons plus d'une justice qui n'écoute pas et qui chronomètre tout», titrait le texte à l'origine de l'appel à une journée d'action par 17 organisations professionnelles et syndicales de la justice.
Ecrite par neuf jeunes magistrats après le suicide fin août d'une de leurs collègues, Charlotte, la tribune avait recueilli lors de sa mise en ligne le 23 novembre sur le site du quotidien Le Monde plus de 3.000 signatures, soit le tiers du corps professionnel.
Elle affichait ce lundi plus de 7.550 signataires, dont 5.476 magistrats, 1.583 fonctionnaires de greffe et 493 auditeurs de justice (élèves magistrats). Une mobilisation sans précédent.
Un grand nombre de juridictions ont ensuite, à l'issue de leurs assemblées générales obligatoires de décembre, voté des motions s'associant à la tribune et réclamant des moyens supplémentaires.
Un «dilemme intenable»
Ce très large consensus, qui s'inscrit dans un contexte de crise profonde de l'institution judiciaire, est venu percuter les Etats généraux de la justice lancés par le gouvernement mi-octobre.
Au-delà du manque de moyens des services judiciaires, dénoncé de longue date, la tribune a exprimé la «désespérance» de ceux qui rendent la justice au quotidien, qui s'expose désormais sur les réseaux sociaux avec le mot-clé «#justicemalade».
Le texte pointait «un dilemme intenable : juger vite mais mal ou juger bien mais dans des délais inacceptables». «Cette tribune, c'est l'expression d'une souffrance. Je n'ai jamais vu autant de burn-out, d'arrêts maladie», a assuré Frédéric Fèvre, procureur général à Douai et président de la conférence nationale des procureurs généraux.
Si aujourd'hui «la parole se libère», le constat est là «depuis une vingtaine d'années»: «la justice a perdu une part de son humanité parce qu'on a une logique comptable», estime-t-il.
«que la justice soit rendue dignement»
Dans un entretien à Var-Matin, le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, qui en tant que président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a reçu les auteurs de la tribune, s'est dit «frappé» de «mots forts que l'on n'a pas l'habitude d'entendre».
La tribune «parle à tout le monde, pas qu'aux jeunes», a ajouté Cécile Mamelin, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), qui appelle pour la première fois formellement à la grève ce mercredi.
Dans la magistrature, «on est d'habitude de bons petits soldats. Mais là ce n'est plus possible, nous avons droit à des conditions de travail normales», a-t-elle affirmé.
A l'occasion de cette journée nationale, les organisateurs appellent à des renvois massifs d'audiences «pour montrer notre détermination commune à obtenir enfin les moyens propres à ce que la justice soit rendue dignement».
Le garde des Sceaux défend son bilan
Ils invitent, aux côtés des représentants des avocats et des fonctionnaires de greffe, à des rassemblements devant les palais de justice.
A Paris, les organisateurs ont décidé de se rassembler à midi devant le ministère de l'Economie et des Finances, pour souligner «que la problématique des moyens est totalement évacuée tant du discours ministériel que des Etats généraux de la justice».
A l'avant-veille de cette journée qui s'annonce massive, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a défendu son bilan lors d'une conférence de presse à la Chancellerie, vantant de nouveau le budget «historique» pour la justice qui a connu deux hausses successives de 8% ces deux dernières années.
Assurant avoir «entendu et pris en compte» l'appel à se rassembler devant les juridictions, il a toutefois dénoncé les «arrière-pensées de certains, tout comme les tentations d'instrumentalisation dans un contexte pré-électoral».
Il y a cinq ans, «la justice était en état d'urgence absolue. (...) Nous avons réparé les urgences les plus criantes», a assuré le ministre. «Le travail continue dans le cadre des Etats généraux de la justice», avait-il ajouté.