Au premier jour de la trêve hivernale, ce lundi 1er novembre, la Fondation Abbé-Pierre ne relâche pas sa vigilance. Lorsque ce répit sera levé, en avril, l'association craint une explosion des expulsions pour impayés de loyers : jusqu'à 40.000 en 2022. La pandémie a creusé les difficultés de nombreux foyers parmi les plus fragiles.
La trêve hivernale, instaurée en 1954 à l'initiative de l'Abbé Pierre, puis inscrite dans la loi française en 1956, reporte toute expulsion locative au printemps suivant. Mais, pendant cette période, «l'épée de Damoclès reste là. La fragilité de nombreux ménages reste préoccupante», souligne Christophe Robert, le délégué général de la Fondation. Cette dernière dénonce une reprise forte des expulsions locatives sans solution. Quelque 6.600 ménages ont été délogés en 2021 et ce chiffre doit atteindre les 8.000 en cette fin d'octobre.
Au 1er jour de la #TrêveHivernale, la Fondation @Abbe_Pierre dénonce une reprise forte des expulsions locatives sans solution.
Initiée par l’#abbéPierre à l'hiver 54 avant d'être inscrite dans la loi en 1956, elle offre un répit à des milliers de personnes, adultes et enfants. pic.twitter.com/n4ddI53Q9Q— FondationAbbéPierre (@Abbe_Pierre) November 1, 2021
Auprès de franceinfo, Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, redoute ainsi «40.000 expulsions» en 2022, après deux années de tolérance de la part des préfets. Il y a en effet eu «peu d'expulsions en 2020 et 2021» car les personnes concernées ont «obtenu un sursis» dans ce contexte de crise. Mais «ça ne veut pas dire que les situations sont réglées [...] elles sont toujours condamnées à l'expulsion».
L'association craint donc de voir «tout ce stock accumulé de décisions de justice» exécuté par les préfectures dès le 1er avril 2022, à la fin de la trêve hivernale. Pour l'heure, les bailleurs publics et privés ont été indemnisés afin de compenser le fait que ces expulsions, ordonnées par la justice, n'aient pas eu lieu. En 2021, 20 millions d'euros supplémentaires ont été ajoutés au budget habituel. Mais «on sait bien que cette enveloppe n'est pas suffisante», plaide Manuel Domergue. Une fois qu'elle est épuisée, les préfets «sont amenés à expulser de manière assez rapide et sans alternative».
Des loyers «trop élevés»
Le directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre assure que les personnes menacées d'expulsion ne sont pas «de mauvais payeurs». Selon lui, ils se retrouvent dans cette situation délicate «parce que les loyers sont trop élevés» ou parce que «des millions de ménages» vivent «avec des minima sociaux à des niveaux totalement insuffisants». Pour éviter que de trop nombreux Français se retrouvent sans toit, l'association appelle à l'instauration d'une «politique de prévention».
«Il faut plus d'argent», tranche Manuel Domergue. Selon lui, le budget alloué à la prévention des expulsions locatives était plus conséquent «il y a une dizaine d'années», à «75 millions d'euros», contre 30 aujourd'hui. Par ailleurs, la Fondation Abbé-Pierre demande à ce que l'interdiction des coupures d'énergie, déjà en vigueur pendant la trêve hivernale, devienne la règle pour toute l'année.
Il y a actuellement 280.000 coupures d'électricité pour impayés chaque année en France. «Ca veut dire des centaines de milliers de personnes qui vivent dans le noir, qui ne peuvent pas avoir un frigo ou une plaque de cuisson. Leurs enfants ne peuvent pas faire leurs devoirs à la maison, ils ne peuvent pas télétravailler», détaille Manuel Domergue.
Pour éviter ce genre de situations extrêmes, la Fondation Abbé-Pierre propose plutôt d'instaurer une «réduction de puissance» pour les personnes qui sont en impayés importants d'électricité. Cela leur permettrait d'avoir «le minimum électrique» pour continuer à vivre décemment. Les foyers fragilisés seraient ainsi libérés de la menace d'une coupure totale, que ce soit pendant ou en dehors de la trêve hivernale.