Après avoir reçu plusieurs signalements concernant un abattoir du groupe Bigard, situé à Cuiseaux en Saône-et-Loire, l'association de défense des animaux L214 a décidé d'aller voir par elle-même. L'un de ses enquêteurs, Thomas Saïdi, s'est fait embaucher au sein de l'établissement afin de l'infiltrer pendant quatre mois. Ce jeudi 28 octobre, il révèle l'horreur qu'il y a trouvé.
Il dénonce «les souffrances aigües et pourtant évitables» infligées aux animaux, ainsi que les «graves carences» des services vétérinaires. Dépendants du ministère de l'Agriculture, ces derniers sont censés contrôler le respect des règles sanitaires et de protection animale. Thomas Saïdi est parvenu à intégrer l'équipe en tant que préposé sanitaire, alors qu'il avait, pour seule expérience, deux ans en tant qu'«accrocheur de volailles» dans un abattoir.
À l'abattoir Bigard de Cuiseaux, les services vétérinaires sont dépassés: alors que 500 bovins sont tués chaque jour, seulement 1 à 2 % des abattages sont contrôlés. #L214 porte plainte contre l’État. https://t.co/7R4LhaH7N7 pic.twitter.com/mFJmGBpFE2
— L214 éthique & animaux (@L214) October 28, 2021
Pourtant, une semaine après son embauche, le jeune homme était déjà laissé seul à contrôler l'abattage rituel halal des animaux. Il contrôlait en autonomie l'état sanitaire des carcasses et abats au bout de trois semaines et formait un nouvel employé après seulement deux mois d'ancienneté. Selon le vétérinaire officiel de l'abattoir, dont les propos sont rapportés par L214, cela s'explique par un manque criant de main d'oeuvre : «Il n'y a pas assez de personnel, c'est vrai que si on doit suivre le règlement, il faut qu'on regarde tous les animaux au moment de l'abattage, mais c'est pas ce qu'on fait dans la réalité».
D'après les chiffres de L214, 500 bovins transitent quotidiennement par l'abattoir de Cuiseaux. L'abattage rituel, qui concerne environ 150 bêtes, n'est contrôlé que pour 5 à 10 vaches par jour. La procédure standard, avec étourdissement, n'est quant à elle pas du tout contrôlée par les services d'inspection. Seuls 1 à 2% des abattages font donc l'objet de contrôles dans cet établissement, alors que la réglementation exige que toutes les opérations «d'immobilisation, d'étourdissement» et «de mise à mort des animaux» soient placées sous une «surveillance continue».
Résultat : à Cuiseaux les bovins sont tués dans des conditions qui relèvent de la maltraitance animale. Thomas Saïdi décrit des animaux suspendus par une patte à la chaîne d'abattage alors qu'ils sont encore conscients, après avoir été égorgés. Certaines vaches blessées, par exemple avec une patte brisée, peuvent attendre pendant 10 heures avant d'être abattues. L'enquêteur cite, pêle-mêle, des bovins enfermés sans manger pendant 48h, les aiguillons électriques utilisés pour les faire avancer plus vite, ou encore les coups de bâtons dans les yeux pour les faire reculer.
Des vaches gestantes abattues
Difficiles à regarder, les images tournées par L214 montrent également qu'une cinquantaine de foetus de veaux arrivent sur la chaîne d'abattage chaque jour. Certains paraissent clairement prêts à naître, alors même que la réglementation interdit le transport des vaches au-delà du huitième mois de gestation. Lorsque leur mère est abattue, ces veaux meurent dans l'utérus, par suffocation. A l'abattoir de Cuiseaux, un employé est quotidiennement chargé de prélever leur sang afin d'en extraire le sérum foetal, à des fins de commercialisation.
«A quelques mois des élections présidentielles, c'est le moment d'ouvrir les yeux sur la sauvagerie de notre société à l'égard des animaux et de repenser aux relations que nous voulons entretenir avec eux», estime Sébastien Arsac, porte-parole de L214. L'association a non seulement lancé une pétition, demandant notamment au gouvernement d'interdire la mise à mort de vaches gestantes, mais a aussi porté plainte pour sévices graves auprès du procureur du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône. Un recours en responsabilité contre l'Etat, pour manquement à sa mission de contrôle de l'application de la réglementation, a par ailleurs été déposé.
Interrogé par l'AFP, le ministère de l'Agriculture a indiqué qu'une «inspection complète de l'établissement» de Cuiseaux est prévue dès ce jeudi 28 octobre. Après «une enquête approfondie des pratiques de cet abattoir, le ministre Julien Denormandie prendra toutes les mesures, et notamment les sanctions, qui s'imposent», ajoute-t-on. De son côté le groupe Bigard, leader de la viande bovine en France et en Europe, s'est pour l'heure refusé à tout commentaire.