«C’est dur d’avoir 20 ans en 2020». Le 14 octobre dernier, lors de son allocution télévisée pour annoncer la mise en place d’un couvre-feu, Emmanuel Macron a eu une pensée particulière pour les jeunes français dont la vie sociale, professionnelle ou étudiante a été perturbée par la crise sanitaire.
Le président français a souligné le malaise ressenti par cette frange de la population qui, «honnêtement, vit un sacrifice terrible : des examens annulés, de l'angoisse pour les formations, pour trouver le premier job».
CNEWS a donc donné la parole aux concernés sur le thème : avoir 20 ans en 2020. Ils ont partagé leurs préoccupations, leurs doutes mais aussi leurs espoirs concernant l’avenir. Aujourd'hui, Aliénor, étudiante en classe préparatoire, raconte son difficile retour chez ses parents.
SON ANNÉE 2020
2020 ? Emmitonnée dans son sweat noir, Aliénor préfère en rire. «Je ne suis pas très triste. L’année a eu quelques points positifs», affirme-t-elle. Avant de soupirer : «Mais bon...»
Cela en dit long. En mars, Aliénor était en deuxième année de classe préparatoire en sciences sociales. Soit, l’année des concours. Elle travaillait beaucoup en espérant intégrer Sciences Po Lyon ou L’École Normale Supérieure (ENS). Pour ne pas interrompre ses révisions, elle a décidé de rester confinée dans son appartement du Nord de la France. «J’étais bien toute seule», assure-t-elle. «Je n’avais pas envie de déménager toutes mes affaires à Orly, où mes parents habitent.»
Mais cette petite brune, aux épaisses lunettes rondes, a dû changer ses plans. Sa mère a insisté pour qu’elle vienne se confiner «en famille». Aliénor a cédé à contrecœur. «J’ai très bien vécu le fait de quitter la maison après mon Bac, parce qu’avec ma mère, on se disputait tout le temps», raconte-t-elle. «En rentrant me confiner à la maison, j’avais peur que ça recommence.» Et elle avait vu juste.
Des disputes incessantes
Quand elle évoque cette période, Aliénor parle vite. La fermeté de sa voix tranche avec son visage angélique : «J’ai rapidement saturé d’être avec les mêmes personnes», lâche-t-elle. «Ma mère, je n’avais même plus envie de la voir, même plus envie de lui parler.» Le contexte n’arrangeait rien. A la proximité forcée avec les autres et à l’interdiction de sortir se sont ajoutées l’angoisse de l’épidémie, et la lourdeur de la routine. «Tous les jours, ma mère regardait les chiffres du coronavirus», soupire Aliénor. «Elle faisait ses commentaires, et quand il n’y avait plus rien à dire, elle répétait ce qu’elle avait déjà dit le matin. C’était tout le temps la même chose.»
Dans ce climat de tension extrême, chaque détail est devenu un sujet de dispute. Encore plus à l’approche des concours. «Je tournais en rond. Pourtant, j’avais de la chance», souligne Aliénor. «J’avais un jardin, de l’espace, ma mère me permettait de rester très indépendante… Mais je n’arrivais pas à travailler. Je passais ma vie à m’inquiéter pour mes concours, alors que j’étais incapable de les réviser». Cette pression a contribué à dégrader encore sa relation avec sa mère. A tel point que celle-ci menaçait régulièrement de la ramener à son appartement. «Elle disait ça sous le coup de la colère», explique Aliénor en haussant les épaules. «On finissait toujours par se calmer». Les concours ont eu lieu peu après le déconfinement. Aliénor a enfin pu quitter la maison.
Un décalage persistant
Aujourd’hui, la jeune femme est au beau milieu de sa «khûbe». Elle a raté l’ENS et Sciences Po Lyon, mais recommence sa deuxième année pour avoir une seconde chance. Peu importe : Aliénor est détendue. Ou en tout cas, un peu plus que pendant le confinement. Ses cours se déroulent en présentiel, lui permettant de discuter avec ses amis, d’avoir un vrai contact avec ses professeurs et d’organiser des événements avec le Bureau Des Élèves (BDE) dont elle fait partie. Elle n’a pas vu sa mère depuis quatre mois.
«Ce n’est pas très grave. De toute façon, je n’ai jamais été proche de mes parents», assure-t-elle. La petite brune compte rentrer à Orly pour les fêtes de fin d’année. Et même si après une aussi longue période, elle est heureuse de retrouver sa famille, le décalage subsiste. «J’ai l’impression que dans la tête de ma mère, nous sommes une famille super unie, alors que non», confie Aliénor. «Pour ma mère, les disputes, c’est comme lire un livre. Dès qu’elle a fini, elle met de côté et elle passe à autre chose. Sauf que moi, nos conflits me restent en tête, et je me souviens de la peine qu’ils m’ont causé.»
Aliénor rentre, donc. Avec la même prudence qui lui permet d’aborder l’année 2021. Fataliste, mais apaisée, elle soupire : «On verra bien.»