Alors que le projet de loi contre les séparatismes est présenté ce mercredi en Conseil des ministres, la question de la laïcité est plus que jamais au centre des débats. Mais si son concept est largement accepté, son interprétation oppose deux camps aux idées bien différentes.
S’il fallait simplifier cet antagonisme, l’un serait désigné comme partisan d’une laïcité «dure», l’autre d’une laïcité «souple» ou «équilibrée». Régulièrement, des débats font s’affronter ces deux visions. Cela avait été le cas en 2016, quand la philosophe Elisabeth Badinter estimait qu’il ne fallait «pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe» pour défendre réellement ce principe. Une accusation qui, selon elle, est utilisée comme une arme par certains pour faire taire ses défenseurs.
Un point de vue résolument différent de celui prôné par l’Observatoire de la laïcité, qui s’escrime à dénoncer ceux qui la dénaturent en en faisant un «outil antireligieux, antimusulman», comme lui répondait à l'époque Jean-Louis Bianco, son président. Cette commission consultative, qui conseille et assiste le gouvernement sur la question, est souvent ciblée par les tenants d’une laïcité dure. Elle est considérée comme lui préférant une vision libérale, s’attachant à garantir les libertés individuelles concernant les croyances, mais participant ainsi à favoriser le repli communautaire. Interrogé par Cnews, son rapporteur général Nicolas Cadène rappelle de son côté l’importance de respecter «l’équilibre laïque», qui permet d’œuvrer plus efficacement, sans être accusé de discrimination.
La ligne dure s'impose
Un exemple concret de cette opposition entre les deux visions de la laïcité s’était à nouveau déroulé en septembre 2019. La FCPE avait diffusé une affiche représentant une mère voilée accompagnant une sortie scolaire. Partageant sa «tristesse» et rappelant que «cette fédération de parents d’élèves a été fondée sur la laïcité», Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education, avait jugé cette image comme une «erreur». De son côté, la FCPE préférait rappeler le droit, en pointant qu’il n’existe aucune interdiction légale interdisant à un parent d’arborer un signe religieux en accompagnant des élèves. «Les valeurs de notre République laïque» étaient donc de son côté, expliquait-elle. Encore une fois, les deux camps s’opposaient : l’un estimant que le principe de laïcité devait empêcher la religion de se montrer de façon si visible, et d’autant plus dans certains contextes (ici, auprès d’élèves), l’autre défendant au contraire que cette laïcité donnait le droit d’afficher sa confession en toute liberté, dans le respect de la loi.
Quoi qu’il en soit, les récents problèmes liés à l’islamisme en France et les nombreux attentats perpétrés -et particulièrement l’assassinat de Samuel Paty- ont fait basculer le curseur des autorités du côté de la ligne laïque dure. Les discours antirépublicains sont chassés et le gouvernement n’a pas hésité à faire dissoudre des collectifs et associations musulmanes, comme le CCIF ou BarakaCity, jugés pourvoyeur d’idéologie islamiste. La mosquée de Pantin a même été fermée temporairement.
Des hommes politiques pointés du doigt
Dans une tribune pour «une laïcité pleine et entière» datée du 24 octobre, 49 signataires réclament même d’aller plus loin, en remplaçant «ceux qui on fait leur temps» et «se sont écartés de la défense de la laïcité, allant jusqu’à prendre constamment le parti de ses adversaires, de tribune en préface, de critique des laïcs les plus respectés en prise de position des plus ambiguës». Une pique qui semble directement être adressée à l’Observatoire de la laïcité et à certains politiciens.
Jean-Luc Mélenchon fait assurément partie de ses dirigeants politiques visés, lui qui affirmait, le 12 novembre dernier, qu’il y a en France «une haine des musulmans déguisée en laïcité». «La laïcité, ce n’est pas la haine d’une religion», estimait-il. En octobre, il avait considéré que la marche contre l’islamophobie, à laquelle il avait été «fier» de participer un an auparavant, s’était faite aux cris de la laïcité, quand d’autres lui répondaient que l’événement avait été initié notamment par le CCIF et que France Inter avait rapporté avoir plutôt entendu des «Allah Akbar» parmi le cortège.
Le débat entre les deux visions est donc loin de se clore, d’autant qu’avec son projet de loi contre les séparatismes, le gouvernement compte réaffirmer l’importance de la laïcité dans les associations, les services publics ou à l’école.