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Drogue, mineurs isolés... la saison 8 d'Engrenages largement inspirée de la réalité parisienne

[© Engrenages - Episode 1 saison 8 - Canal +]

Quand la fiction s'inspire de la réalité. Bien que le scénario de la saison 8 d'Engrenages soit complètement fictif, il dresse un portrait parfaitement réaliste du quartier de la Goutte d'Or (18e), confronté depuis plusieurs années à la délinquance de jeunes mineurs isolés.

Dès la première scène de cette série Canal, le décor est planté. Endormis dans les machines d'une laverie, plusieurs jeunes garçons en sont délogés par le patron, alors qu'ils avaient trouvé là un refuge pour la nuit. Une scène largement inspirée d'une photo prise dans le quartier de La Goutte d'Or (18e) en décembre 2017, sur laquelle on devinait clairement la présence de ceux que l'administration appelle pudiquement les «mineurs isolés».

Un cliché percutant qui a donné des idées à Marine Francou, la directrice d'écriture et scénariste de la saison 8 d'Engrenages. Elle explique comment la détresse de ces adolescents s'est imposée à elle de façon «assez foudroyante», avant de devenir le fil conducteur de l'écriture du scénario. «Nous avons rencontré le sociologue Olivier Peyroux, à qui la maire de Paris Anne Hidalgo avait commandé une étude sur ce phénomène [...] En deux heures, il nous avait dressé un portrait complet de la situation», raconte-t-elle.

Une «rencontre déterminante» pour Marine Francou et les co-auteurs de la série, qui décident alors de faire de ces jeunes en errance les personnages centraux de la dernière saison d'Engrenages. Dès lors, pour elle, «l'idée est de rendre compte de cette problématique et d'essayer de donner à voir la folie de la situation de ces enfants».

LES «MINEURS MAROCAINS» VENUS DE TOUT LE MAGHREB

C'est ainsi que Souleymane, le personnage principal de la saison 8 d'Engrenages, est né. Dans l'épisode 6, ce jeune marocain raconte à son avocate comment il est arrivé en France, via Melilla, une ville autonome espagnole située sur le continent africain. Le parcours «classique» qu'emprunte bon nombre de ces jeunes.

Surnommés parfois à tort «mineurs marocains», ces derniers sont dans la réalité originaires de plusieurs pays du Maghreb : Maroc, Algérie et Tunisie. En quête d'une vie meilleure, ils quittent très jeunes leur pays pour l'Europe. Une fois arrivés à Paris, pour certains après avoir transité par la Suède, ils sont le plus souvent réfractaires à l'idée d'être insérés dans la société, au point de refuser quasi-systématiquement les mains tendues. «On est sur une population qui ne souhaite pas entrer dans les structures habituelles», explique Eric Lejoindre, le maire du 18e.

L'élu milite depuis longtemps pour que ces adolescents – parfois âgés d'à peine 14 ans – soient accompagnés tant sur le plan sanitaire et éducatif que juridique. «Nous faisons face depuis maintenant 4 ans à la présence de jeunes étrangers isolés poly-toxicomanes et délinquants ayant fait de La Goutte d'Or leur territoire», déplore-t-il dans une lettre récemment adressée au gouvernement. Eric Lejoindre souligne d'ailleurs que beaucoup font l'amalgame, notamment sur les réseaux sociaux, entre ces mineurs délinquants et d'autres jeunes migrants, venus de Guinée ou encore du Mali, qui souhaitent sortir au plus vite de la rue.

Déterminé à obtenir l'aide de l'Etat, Eric Lejoindre a alerté les ministres de la Santé, de l'Intérieur, et de la Justice sur cette question. Il leur réclame notamment la création «de structures sur mesure pour accompagner ces jeunes et les extraire d'un milieu qui les détruit, avec la mise en place de dispositifs de soins renforcés qui apparaissent désormais indispensables».

Et c'est justement pour mettre un visage sur cette réalité que Marine Francou a imaginé le personnage de Souleymane, joué par Ayoub Barboucha, lui-même jeune Marocain tout juste arrivé en France. «C'est délirant de penser que ce sont des enfants, qui arrivent à Paris après des semaines d'errance et qui sont complètement livrés à eux-mêmes», témoigne la directrice d'écriture.

De la délinquance pour survivre

Et comme dans la série, ces jeunes qui refusent toute aide survivent donc en commettant de petits délits. Une délinquance «qui s'est beaucoup amplifiée» depuis la fin du confinement selon Eric Lejoindre. Et les habitants de La Goutte d'Or ne sont pas les seuls à s'en plaindre, puisque plusieurs cambriolages de pharmacies mais aussi de maisons pavillonnaires auraient récemment été commis par ces jeunes dans toute l'Ile-de-France.

«On ne nie pas dans notre fiction ces passages à l'acte très violents», assure d'ailleurs Marine Francou, qui témoigne de l'«état de détresse assez incroyable» dans lequel ces enfants se trouvent. Un état qui les pousse à commettre des cambriolages ou des vols à la tire, «mais pas beaucoup plus», selon la scénariste. C'est pourquoi il ne faut pas oublier qu'Engrenages est une fiction et que les crimes commis dans cette série ne sont pas tirés de faits réels.

Pour les besoins du scénario, Marine Francou admet en effet avoir «fait un pas dans la fiction», en imaginant Souleymane et ses amis devenir des petites mains pour des figures du grand banditisme. «On a pas mal interrogé la police et elle n'avait pas à sa connaissance de réseaux [de bande organisée, ndlr] vraiment constitués [...] C'est notre part de fiction», explique-t-elle. «De la même façon, on a fait mourir l'un de ces jeunes [dans l'épisode 1, ndlr] mais à ma connaissance ce n'est jamais arrivé à Paris», ajoute-t-elle.

La drogue comme boussole

L'autre grand sujet abordé dans cette série : l'addiction de ces jeunes aux médicaments. Dans Engrenages, Souleymane est accro à un anxiolytique puissant, commercialisé sous le nom de Rivotril, dont l'utilisation à long terme présente un risque de dépendance très élevé. La consommation de ce médicament aux effets similaires à ceux d'un sédatif rend l'adolescent plus sûr de lui, mais aussi plus vulnérable lorsqu'il est en manque.

Encore une fois, ce choix dans le scénario ne doit rien au hasard, car – dans la vraie vie – c'est cette dépendance aux médicaments qui expliquerait l'enracinement de ces jeunes à la Goutte d'Or. La présence de petits dealers dans ce quartier leur permet de se fournir en médicaments et en autres drogues, notamment le cannabis.

Toutefois, selon le maire du 18e, il n'est «pas certain qu'il y ait un lien entre les jeunes mineurs marocains et le crack», comme le laisserait entendre la série. L'autre «pas dans la fiction» de cette saison 8 est donc la présence, dans l'épisode 3, de Souleymane à la «Colline du crack». Situé sous le périphérique Porte de la Chapelle, ce campement de fortune investi par les consommateurs a depuis été démantelé.

«Rien à ce stade ne permet de dire que les mineurs isolés fréquentaient ce lieu [...] même s'il est clair que les territoires où se trouvent les mineurs isolés et les consommateurs crack sont voisins, et qu'ils peuvent être amenés à se côtoyer», remarque Marine Francou.

«ça continue à faire la une des journaux»

Deux ans après l'écriture de la huitième et – a priori – dernière saison d'Engrenages, force est de constater que le sujet est encore d'actualité et «continue à faire la une des journaux», réagit la scénariste. «C'est délicat de choisir ce genre de sujet, mais dans la mesure où on est dans une démarche intellectuelle honnête et que l'objectif est de donner à voir les choses, on ne s'est rien interdit».

Pour Marine Francou, «la force de cette série» est justement de pouvoir «explorer la complexité» d'un tel sujet. Et ce, «sans aucune prétention» et «sans pointer personne du doigt». «Encore une fois, on a fait le choix de la fiction», conclut-elle.

De son côté, Eric Lejoindre, maire du 18e depuis plus de 6 ans et demi et récemment réélu, a «bon espoir» qu'un travail en profondeur soit mené de front sur ce sujet, mobilisant «les services spécialisés de la police judiciaire, mais aussi de la brigade des stups». Une demande en ce sens à été formulée au Procureur de la République et à la commissaire du 18e.

Et l'élu se veut optimiste. Selon lui, la prise en charge de ces jeunes mineurs isolés «devrait être gérable [...], encore faut-il qu'il y ait une implication de tous les acteurs».

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