La décision de classer monument historique le Sacré-Cœur de Montmartre, prise par le préfet d'Ile-de-France mardi 13 octobre, suscite de nombreuses réactions. La basilique est en effet liée étroitement à l'histoire sanglante de La Commune de Paris, durement réprimée en 1871.
Pourtant, la construction du monument a été imaginée dès décembre 1870, par l'homme d'affaires catholique Alexandre Legentil et le peintre Hubert Rohault de Fleury. Leur projet s'inscrit dans un contexte national bien particulier, marqué par la défaite de la France lors de la guerre contre la Prusse et la capitulation de l'empereur Napoléon III en septembre 1870 à Sedan. En parallèle, les troupes françaises protégeant Rome ont été contraintes d'évacuer, menant à l'annexion de la cité pontificale par la nation italienne.
Face à ces «malheurs qui désolent la France» et aux «attentats sacrilèges commis à Rome contre les droits de l'Église et du Saint-Siège», Alexandre Legentil formule alors un «vœu» en janvier 1871. Il entend «faire amende honorable de nos péchés» et «obtenir de l'infinie miséricorde du Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le pardon de nos fautes ainsi que les secours extraordinaires». Pour cela, il promet de «contribuer à l'érection à Paris d'un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus».
Un projet «d'utilité publique»
Mais le 18 mars 1871, le soulèvement populaire de la Commune de Paris débute, lorsque le gouvernement d'Adolphe Thiers décide d'envoyer l'armée pour prendre des canons stockés par les Parisiens. Ces derniers repoussent les soldats, et le gouvernement finit par se retirer à Versailles. S'ensuit une période révolutionnaire dans la capitale isolée, avec la mise en place de mesures sociales et laïques. Une insurrection matée férocement par les autorités lors de la Semaine sanglante, du 21 au 28 mai 1871. Entre 20.000 et 30.000 Parisiens sont tués, et 40.000 arrêtés.
Une fois le «calme» revenu à Paris, Alexandre Legentil et Hubert Rohault de Fleury peinent toutefois à obtenir les terrains nécessaires pour ériger leur monument religieux. Ils font alors jouer leur réseau pour rendre ce projet «d'utilité publique». Un vote en ce sens a lieu en juillet 1873 à l'Assemblée nationale, qui compte à l'époque une majorité de député royalistes et catholiques, tenants de «l'ordre moral». Les débats sont âpres, l'opposition républicaine dénonçant notamment un bâtiment qui viserait à «expier les crimes des communards». Mais le principe de sa construction est finalement entériné par une loi.
Reste à déterminer le lieu. En 1870, au moment où il lançait son projet, Alexandre Legentil avait estimé qu'il «serait utile de créer une paroisse dans un des quartiers qui en manquent le plus, parce qu’on serait, par-là, plus sûr de l'appui de l’Archevêché, lequel est indispensable».
Le texte voté par les députés prévoit que «l'emplacement de cet édifice sera déterminé par l'archevêque de Paris, de concert avec le préfet de la Seine». Selon le site internet du Sacré-Cœur, c'est le Cardinal Guibert, archevêque de Paris, qui a «choisi Montmartre». Plusieurs versions expliquent cette volonté : une apparition qu'il aurait eu lors d'une promenade sur la butte, le point le plus haut – et donc visible – de Paris, ou parce qu'il s'agit historiquement du «Mont des Martyrs».
La colline de Montmartre aurait en effet été le lieu où Saint Denis, premier évêque de Paris, aurait été décapité lors de persécutions anti-chrétiennes, en compagnie de deux co-religionnaires. Une chapelle y aurait été érigée dès le Ve siècle, puis une abbaye au Moyen Age, qui a été détruite en 1792 lors de la Révolution française, rappelle le site web du Sacré-Cœur.
Mais c'est également le lieu de départ de la Commune de Paris, car les canons des Parisiens convoités par le gouvernement en mars 1871 se trouvaient en effet sur la butte Montmartre. Un lien évoqué par Hubert Rohault de Fleury, lors de son discours à l'occasion de la pose de la première pierre de la future basilique, en 1875 : «Oui, c'est là où la Commune a commencé, là où ont été assassinés les généraux Clément-Thomas et Lecomte, que s'élèvera l'église du Sacré-Cœur ! Malgré nous, cette pensée ne pouvait nous quitter pendant la cérémonie dont on vient de lire les détails. Nous nous rappelions cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l'Église semblait surtout animer».
Dépassioner le débat
Aujourd'hui, les autorités cherchent à dépassionner le débat. «Notre préoccupation est strictement patrimoniale et vise à s'assurer de la transmission de ce symbole de Paris aux générations futures», a abrégé Marc Guillaume, le préfet d'Ile-de-France (c'est-à-dire le représentant de l'Etat dans la région), dans Le Point.
La basilique s'est «imposée comme une référence en matière d'architecture religieuse au moins jusque dans les années 1950, et est devenue un édifice parisien incontournable voire iconique pour les nombreux visiteurs de la capitale», indique la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d'Ile-de-France. Et ce, malgré «la progressive et parfois difficile reconnaissance du patrimoine du XIXe siècle».