Une équipe de médecins français vient de publier dans la revue scientifique The Lancet une étude dans laquelle ils disent avoir identifié une souche de VIH résistante à pratiquement tous les antirétroviraux chez deux hommes en France. Il s'agit, disent-ils, d'un «événement sans précédent», tant la transmission par voie sexuelle d'un virus aussi résistant aux médicaments n'a pratiquement jamais été répertoriée nulle part dans le monde.
Cette équipe de chercheurs, composée essentiellement de médecins exerçant au Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse (Haute-Garonne), pourrait ainsi être à l'origine d'une découverte médicale majeure.
L'émergence d'une souche de VIH, le virus responsable du sida, quasiment invincible a en effet été longtemps perçue comme une menace virtuelle et potentiellement considérable pour la santé publique mondiale, or ce qu'ils ont trouvé est bien réel et doit donc faire l'objet d'une surveillance particulièrement étroite pour garantir la sécurité sanitaire.
Let’s hope this remains rare - Sexual transmission of an extensively drug-resistant HIV-1 strain - The Lancet HIV https://t.co/ofN4JN7Jhy
— Helen Ward (@profhelenward) August 5, 2020
Le premier cas qu'ils présentent dans leur publication concerne celui d'un jeune homme de 23 ans ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. Contaminé en septembre 2019 par une souche ultra-résistante du VIH-1, ce patient a pu être dépisté au plus tôt après avoir développé une primo-infection au virus, c'est-à-dire que son corps a développé plusieurs symptômes qui ont alerté les médecins.
Dans leur étude, ces derniers précisent en outre que le jeune homme n'avait pas utilisé de prophylaxie pré-exposition. Concrètement, cela signifie qu'il ne prenait pas de médicaments contre le VIH en prévention avant d'avoir des rapports sexuels.
Certaines personnes, essentiellement des hommes homosexuels, peuvent en effet se voir prescrire des antirétroviraux alors même qu'ils ne sont pas infectés par le VIH, et cela justement pour éviter de l'être. Une méthode que l'on appelle la PrEP dans le jargon médical. En l'état actuel des choses, rien ne permet cependant de dire que cette prophylaxie aurait pu permettre au premier patient étudié d'éviter d'être contaminé, du moins les médecins ne l'indiquent pas clairement dans la présentation de leur étude.
Ce qui frappe, en revanche, et c'est précisément ce qui interroge les scientifiques, c'est de savoir par quels mécanismes cette contamination a pu se faire dans la mesure où, jusqu'à présent, la doctrine admise en la matière voulait qu'il y ait peu de transmissions de souches de VIH-1 multirésistantes justement parce que l'on pensait que ces souches, en étant hautement mutées, avaient plus de mal à se propager.
Dans leur étude, les médecins toulousains prennent toutefois le soin de préciser que dans les cas de primo-infections au VIH-1 en France, «moins de 0,1 % des souches identifiées présentaient une résistance aux trois principales classes de médicaments antirétroviraux». Bien qu'infimes, ces cas existent donc bel et bien.
Deux cas similaires dans la même région
Par contre, et c'est ce qui est d'autant plus préoccupant, c'est que les médecins ont également découvert que cette même souche de VIH-1 ultra-résistante et présentant exactement le même profil de mutation, a aussi été découverte chez un autre patient, âgé lui de 54 ans, originaire de la même région de France (les médecins ne précisent pas laquelle).
Ce patient, ayant lui aussi des rapports sexuels avec d'autres hommes, présente par ailleurs un profil singulier puisqu'il était déjà séropositif depuis 1995 mais avec une longue histoire d'échecs virologiques.
Dans leur étude, les médecins écrivent que «les souches prélevées chez les deux patients étudiés ont permis d'établir qu'elles sont phylogénétiquement liées, mais un historique de transmission directe n'a pas pu être établi, ce qui suggère des liaisons intermédiaires non échantillonnées». En clair, d'autres patients non encore identifiés pourraient être concernés.
Reste que deux cas avérés d'un virus ultra-résistant au VIH dans une zone et dans un délai aussi réduits constituent en soi un événement fondamental à ne pas prendre à la légère tant il est rarissime dans la littérature scientifique. Par ailleurs, si une souche de VIH-1 multirésistante avait déjà été signalée à New York (Etats-Unis) en 2004, celle-ci était néanmoins sensible à au moins une classe de médicament antirétroviral, contrairement aux souches récemment identifiées en France.
Pour conclure, les médecins indiquent que seul un réseau de surveillance épidémiologique composé de virologues et de cliniciens, appuyés par des acteurs locaux de prévention comme les associations, peut empêcher la diffusion de cette souche de VIH-1 particulièrement coriace.
De même, ils plaident pour que la recherche ait les moyens de travailler sur la mise au point de nouvelles classes de médicaments antirétroviraux, seules à même de proposer des thérapies alternatives et efficaces à ces souches ultra-résistantes.