Chaque jour, elle se dirige vers l’ascenseur avec la boule au ventre. Ferdaous Najar, 23 ans, est atteinte depuis la naissance d’une arthrogrypose neuromusculaire -un handicap qui touche les muscles, les articulations et la respiration-. Domiciliée au 2e étage d’un HLM situé à Nanterre (Hauts-de-Seine), elle doit faire face aux multiples pannes de l’ascenseur, un véritable handicap.
En 2016, Ferdaous emménage dans ce F5 en compagnie de ses parents, son frère et sa sœur : «on nous avait dit que l’ascenseur tombait rarement en panne et qu’ils venaient de le changer, a-t-elle confié à CNEWS. On a accepté mais ça a été directement chaotique».
Quand l’ascenseur fait défaut, la jeune femme doit trouver le moyen de déplacer son fauteuil de 100 kilos. Car en dehors des problèmes d’élévateur, celle qui ambitionne de devenir commerciale mène «une vie quotidienne tout à fait lambda». «Quand je me lève le matin, je ne pense pas handicap mais plus à mon petit dèj et comment programmer ma journée».
Aujourd’hui, licence en poche, Ferdaous effectue un service civique où elle «aide les gens à se réinsérer dans la vie professionnelle par outil numérique». Elle n’a toujours pas été relogée alors que son immeuble va être détruit prochainement.
Que se passe-t-il avec cet ascenseur ?
Ferdaous Najar : Il tombe régulièrement en panne. Parfois des pièces se cassent, parfois c’est du vandalisme. Mais face à ça, le bailleur peut mettre de la sécurité, des caméras. Investir. Mais je pense qu’on ne vaut pas le coup. On m’appelle et on me demande : «madame, pourquoi vous voulez sortir ? Qu’est-ce qu’il se passe ?». Je pense que le bailleur ne comprend pas que c’est important de donner de la liberté à ses locataires. Peu importe ma vie, même si j’étais au chômage, tu ne peux pas enfermer quelqu’un.
Quand l'appareil vous lâche, quelles solutions avez-vous ?
Il y a mes parents en solution alternative. Les pauvres, ils n’ont plus de vie avec cet ascenseur. Ils ne peuvent pas porter mon fauteuil de 100 kg seuls. Donc on toque chez les voisins. A mon étage, ce sont des personnes âgées ou des mamans seules…
C’est vraiment compliqué, ce n’est pas une vie. Je dénonce le fonctionnement, le manque d’innovation et le manque de volonté. Car pour moi, c’est un problème qui peut se régler.
L'ascenseur, c’est la pièce maîtresse de l’immeuble. Plus on vieillit, plus on a besoin de lui, de même si on tombe enceinte. Au début, le bailleur est venu et a fait des aménagements dans le logement mais là je me sens abandonnée.
Comment ça se passe avec votre travail ?
J’ai commencé en février mon service civique. J’y vais en fauteuil et je mets entre 10 et 15 minutes. J’ai déjà dû m’absenter plusieurs fois. C’est juste un service civique mais on doit montrer qu’on est compétent, fiable car l’objectif est de s’insérer dans la vie professionnelle derrière. Si dès le départ on montre qu’on ne peut pas nous faire confiance, ça va être compliqué en termes d’insertion. C’est censé durer 8 mois, ça se termine en septembre. Derrière, je compte reprendre mes études, un master.
On m'a proposé par deux fois un logement uniquement accessible par escalier
Dans votre lutte pour vous faire entendre, avez-vous reçu du soutien ?
J’ai eu énormément de soutien mais, jusque-là, je suis toujours au même endroit. Soit en France on a un problème avec l’ascenseur, soit c’est un manque de volonté ou alors de compétence. On m’a proposé par deux fois un logement uniquement accessible par escaliers, sans rampe. J’ai aussi eu une offre pour un appartement en rez-de-chaussée mais il fallait monter 9 marches pour y accéder donc je n’ai même pas pu faire la visite. C’est là qu’on se dit qu’il y a un problème. Le gouvernement doit agir car on ne veut pas vivre avec une allocation handicapée, on veut travailler nous. C’est humain.
Quel est votre demande ?
Je suis ouverte à pas mal de choses. Je cherche un F5 car je ne suis pas prête à être autonome à 100% sans aménagement mais la plupart des logements PMR (Personnes à mobilité réduite) sont des F2. Donc, on nous dit qu’on n’est pas voué à vivre en famille. Imaginez demain je me marie et je fais des enfants, on me dira que je ne peux pas vivre avec eux car il n’y a pas de logement pour les personnes à mobilité réduite.
On a fait une demande de F5 au rez-de-chaussée, mais on a élargi les possibilités. Ça peut être un endroit neuf où l’ascenseur est susceptible de fonctionner. Si ce n’est pas possible, mettez moi seule dans un F2 avec ma famille juste à côté pour que je ne sois pas lâchée dans la nature. Pourquoi pas un pavillon, car on a les ressources avec mon salaire et celui de mon père.
Pourquoi votre demande est si longue à aboutir ?
Je pense que c’est un problème de représentativité. Si on avait plus de visibilité… C’est rare que l’on voie un personnage en fauteuil roulant dans un dessin animé par exemple. Ce sont des détails qui nous permettrait d’être plus visible. Même au cinéma, les personnes en situation d’handicap sont rarement interprétées par des personnes handicapées.
L'action judiciaire sera mon dernier recours
Quelles solutions demandez-vous ?
J’aimerais bien que le gouvernement en parle par exemple. En janvier dernier, la conférence nationale du handicap a abordé la thématique école et insertion professionnelle. Mais avant ça il faut déjà qu’on sorte de chez soi et la thématique du logement n’a pas été abordée. Je pense qu’ils ne sont pas au courant ou que c’est un problème mineur. Des handicapés sont coincés chez eux et on ne peut rien pour eux.
Il faudrait un Cyril Hanouna par exemple, quelqu’un d’influent, qui prendrait la parole pour que les gens se posent des questions. Qu’on se mette autour d’une table pour dire que ce problème existe et qu’effectivement ce n’est pas normal qu’on en soit là en 2020.
Il faut faire une réunion avec les personnes concernées. Je veux proposer des solutions, qu’on trouve une entente. C’est important, ça nous concerne tous car on est dans une société. Un moment donné, il faut prendre en compte cette problématique-là. Que le gouvernement y réfléchisse. Monsieur Macron pourrait faire une loi qui fait pression sur le bailleur. Une loi était prévue qui disait que pour chaque immeuble construit, il y aurait forcément des logements PMR mais elle a été annulée. Pourquoi ? Car un logement PMR n’est pas plus cher.
Envisagez-vous de porter votre affaire devant la justice ?
Je n’y connais rien en droit mais si on est coincé, il faut avoir une parole qui a du poids. Si je sollicite une association qui peut me faire bénéficier d’un avocat je le ferai. Après, quelques associations me soutiennent : Les deux rives, Aide-moi, le collectif Plus jamais sans ascenseur. J’ai même demandé l’aide de l’APF. J’ai sollicité beaucoup d’associations qui me soutiennent encore aujourd’hui et me proposent un avocat. C’est de manière bienveillante et il n’y aucun business derrière.
Si rien ne bouge, je vais demander aux associations de passer la vitesse supérieure. L’action judiciaire sera mon dernier recours car je n’y connais rien donc ça me fait un peu peur. Mais je ne lâcherai rien, j’ai du soutien avec moi et je les remercie énormément. Autant des entreprises, que de la famille, des amis, même des gens de Marseille. C’est grâce à eux que le mental est toujours là car ça fait 4 ans que je me bats. J’ai quand même espoir que la mairie m’appelle pour me dire qu’ils sont sur le dossier et qu’ils ont peut-être des solutions. Même si je trouve mon appartement, je vais continuer de me battre sur cette thématique d’ascenseur. C’est un combat que je fais pour moi mais aussi pour beaucoup d’autres. Si une loi arrive à la fin de mon combat, ça serait une satisfaction.