Jean-Yves Le Drian, promu lundi numéro deux du gouvernement de Jean Castex, s'est forgé une stature régalienne à la Défense, sur le front antijihadiste, puis aux Affaires étrangères où il reste toutefois plus discret.
A 73 ans, ce Breton issu du Parti socialiste, dont l'âge et le long parcours militant tranchent dans les équipes du président Emmanuel Macron, où les nouveaux venus en politique sont légion, incarne l'expérience et la continuité.
En lui accordant la deuxième place dans l'ordre protocolaire du gouvernement, le chef de l'Etat met plus que jamais l'accent sur l'importance de l'Europe dans son projet.
Il entend aussi assurer un rééquilibrage à gauche des forces politiques au sein du gouvernement, notamment dans le pôle régalien face à l'arrivée de Gérald Darmanin (ex-LR) au ministère de l'Intérieur.
«Le Drian apparaît très calme, il a une fibre sociale, une forme d'autorité personnelle et républicaine affirmée», résume François Heisbourg, expert des relations internationales et observateur de longue date du microcosme diplomatico-militaire français.
Un temps pressenti comme Premier ministrable, avec son étiquette de gauche, sa fermeté affichée, qui plaît à droite, et une popularité jamais démentie, il reste finalement en charge des affaires du «monde», de la crise du nucléaire iranien à la «syrianisation» de la Libye.
Après un destin régional à la tête de la Bretagne (2004-2017), Jean-Yves Le Drian entre dans la «cour des grands» comme ministre de la Défense du président socialiste François Hollande, de 2012 à 2017.
Lorsque ce dernier, trop affaibli pour se représenter, jette l'éponge, son emblématique ministre rejoint Emmanuel Macron, novice en politique, qui se pose en alternative à «l'ancien monde».
Il lui apporte alors une caution régalienne en devenant son ministre de l'Europe et des Affaires étrangères mais aussi de gauche avec ses 40 ans passés au Parti socialiste, dans une majorité qui penche fortement à droite.
L'ombre de la Libye
Homme de terrain, d'action, Jean-Yves Le Drian est réputé pragmatique, à l'écoute. «Quand il faut décider, il prend une option et il s'y tient», souligne un diplomate.
Arrivé au Quai d'Orsay avec une réputation de faucon et de héraut de la lutte antijihadiste - au Mali, en Irak et en Syrie - Jean-Yves Le Drian a toutefois vu depuis son image quelque peu pâlir.
Au Sahel, la force française Barkhane reste confrontée, six ans après sa création, au même défi jihadiste, qui s'étend en outre du Mali vers les pays voisins.
Jean-Yves Le Drian apparaît aussi comme la cheville ouvrière du rapprochement de la France avec le maréchal Khalifa Haftar, l'homme fort de l'Est libyen, aujourd'hui très contesté.
«Le soutien à Haftar, ça c'est lui et c'est vraiment contre la maison (Quai d'Orsay)», pointe un ancien ambassadeur de France sous couvert de l'anonymat.
A la Défense, au fil des opérations militaires et des ventes d'armes, Jean-Yves Le Drian, souvent présenté comme le «VRP» de l'avion de combat Rafale, a imprimé sa marque, du Moyen-Orient à l'Afrique. «Il a une bonne image dans notre région», confirme un diplomate émirati.
«C'est l'homme des dictateurs, ce qui est à la fois contestable pour l'image de la France et qui en plus a échoué avec le président égpytien Abdel Fattah al-Sissi», tempère l'ex-ambassadeur.
«Nostalgie de Brienne»
L'Egypte n'a pas répondu aux espoirs de la France en matière de contrats d'armement. «Cela ne marche pas très bien non plus avec 'MBS' (Mohammed ben Salmane, prince héritier d'Arabie saoudite)», poursuit-il.
Au Quai, la discrétion du ministre contraste avec le ton martial qu'il pouvait parfois afficher à la Défense. Il a donné peu d'interviews, encore moins de conférences de presse.
«Dans le monde de prédateurs dans lequel on vit, il vaut mieux ne pas trop parler», observe François Heisbourg, en notant que la politique étrangère est aussi un «domaine réservé» du président.
Certaines de ses déclarations ont aussi été jugées malheureuses, comme lorsqu'il a qualifié de «compromis à l'africaine» l'élection du président Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo.
De l'avis général, Jean-Yves Le Drian n'a jamais complètement quitté ses habits de ministre de la Défense même s'il se dit très heureux au Quai.
«Quelque part il garde la nostalgie de Brienne, du jeu avec les Emiratis, les Saoudiens... Tout cela est très politico-militaire», estime François Heisbourg.
En France comme à l'international, son nom reste souvent avant tout associé à la Défense. «Un peu comme Jack Lang. Tout le monde se souvient de lui à la Culture, un peu moins à l'Education nationale», relativise un observateur de la majorité.