La poussée écologiste et des forces de gauche aux municipales 2020 ravive la mémoire de la «gauche plurielle». Une période longue de cinq ans lorsque, de 1997 à 2002, une alliance rose-rouge-verte avait permis à Lionel Jospin de ramener la gauche au pouvoir et de gouverner la France. Une comparaison qui reste toutefois aléatoire aujourd'hui eu égard à la composition des forces en présence.
De gauche à droite en passant par le centre, l'histoire politique française regorge d'alliances plus ou moins hétéroclites, parfois montées en catastrophe.
Et d'une certaine façon, si la gauche plurielle a profondément marqué la période récente, c'est aussi parce qu'elle est précisément née dans l'urgence, en devant son avènement à un homme de droite, le président Jacques Chirac, qui en avril 1997 et à la surprise générale, prend la décision de dissoudre l'Assemblée nationale.
Les élections législatives qui s'en suivirent ouvriront la voie à une cohabitation singulière où le chef de l'Etat d'alors est contraint de diriger le pays avec un Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, conforté par une majorité parlementaire plurielle de gauche. Le Parti communiste français, le Parti radical de gauche, le Mouvement des citoyens et les Verts occupant en effet 319 des 577 sièges au palais Bourbon.
un rapport de force totalement différent
Aujourd'hui, à l'aune des élections municipales de 2020 et la déferlante verte aidant, une «nouvelle gauche plurielle» semble sur le papier prête à s'installer au sein des conseils municipaux des villes tombées aux mains d'élus écologistes comme à Lyon, Strasbourg ou Bordeaux. En réalité pourtant, les rapports de force sont totalement différents.
Alors qu'en 1997, la gauche plurielle de Lionel Jospin pouvait se résumer à des «Roses», c'est-à-dire des socialistes, dominants face à des Verts novices et sur une trajectoire ascendante, les «Rouges», eux, soit les communistes, étaient encore au même niveau de puissance que les écologistes bien que déjà déclinants.
En 2020, dans un monde maintenant profondément marqué par les préoccupations climatiques, ce sont les Verts qui sont désormais au centre du jeu, suivis, selon les cas, des insoumis et des socialistes. Les communistes, eux, étant réduits à la portion congrue.
Des Verts qui ne veulent pas s'en laisser conter
Et pour les écolos, pas question cette fois de se cantonner à un simple accord électoral. Alors qu'il y a vingt-trois ans, la majorité plurielle avait plutôt tendance à se répartir les rôles de la façon suivante : l'écologie aux Verts, le social aux communistes, et les affaires économiques aux socialistes, ce sont tous les aspects de la vie publique locale que les écologistes comptent bien diriger dans leur ensemble, et EELV a d'ailleurs même déjà fait savoir qu'ils n'entendaient pas entrer au gouvernement, alors qu'un remaniement apparaît comme imminent.
A cet égard, l'exemple de Marseille est d'ailleurs assez éloquent. La candidate de gauche du Printemps marseillais, Michèle Rubirola, est arrivée gagnante dans la cité phocéenne, or sa majorité relative ne lui assure toujours pas d'obtenir les clés de la ville. Et dans les manœuvres qui se jouent actuellement en vue du «troisième tour», elle va devoir immanquablement composer avec EELV, parti dont elle avait pourtant été exclue pour dissidence.
A tout prendre, ce qui subsiste finalement aujourd'hui de la gauche plurielle, c'est avant tout une idée, la promesse de réformes sociales, voire de profondes mutations, perçues par l'électorat de gauche comme autant d'avancées et de jours meilleurs.
Une idée en héritage
Parmi ses différentes réalisations, le gouvernement Lionel Jospin a ainsi instauré au niveau économique les emplois-jeunes, créé la prime pour l'emploi et, surtout, réduit le temps de travail à 35 heures. Au niveau social et sociétal, l'héritage pluriel a légué la couverture maladie universelle, l'aide médicale d'Etat, le congé paternité et l'ancêtre du mariage pour tous : le PACS.
Dans l'histoire des gauches européennes, cette parenthèse hexagonale de cinq ans a également à ce point marqué les esprits que la gauche plurielle est parfois citée en exemple en dehors de nos frontières. En 2015, alors que la social-démocratie est en pleine crise, elle réapparaît même au Portugal, où les socialistes portugais, soutenus par la gauche radicale et les communistes, dirigent le pays et arrivent à obtenir de bons résultats économiques.
A ceci près qu'à Lisbonne, cette alliance inattendue se nomme «Géringonça», que l'on pourrait traduire par «le bidule». Un nom sans doute moins policé que «gauche plurielle», mais qui, au fond, traduit la même idée : celle de forces de gauche en ménage à plusieurs qui, si parfois arrivent à tenir, personne ne sait finalement exactement pourquoi et comment.