Un vote sanction en prévision ? Après avoir dégainé l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer sans vote en première lecture l'Assemblée nationale le controversé projet de loi retraites, le gouvernement encourt le risque d'être désavoué dans les urnes, à l'occasion des élections municipales.
La question se fait en effet de plus en plus pressante à mesure que le scrutin des 15 et 22 mars approche, et occupe tous les esprits, que ce soit ceux des électeurs ou des politiques. A commencer par les oppositions qui comptent bien en profiter et, bien sûr, de la majorité actuelle, en première ligne.
Sans surprise, de nombreuses voix se sont ainsi élevées pour appeler les électeurs à se mobiliser contre le gouvernement. Le député LFI Eric Coquerel a, mercredi 4 mars, notamment appelé à «écraser partout les listes de La République En Marche (LREM)» lors des municipales, après l'adoption du projet de réforme des retraites en recourant au 49.3.
Une méthode également dénoncée par Les Républicains (LR) et la présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen qui, répétant que son parti constitue la seule alternative crédible à LREM, multiplie les déplacements sur le terrain, en soutien de «ses» candidats.
de lourdes conséquences possibles pour la majorité
Dans ce contexte, pour le politologue Philippe Moreau-Chevrolet, l'usage de l'article 49.3, enclenché le 29 février dernier à l'issue d'un Conseil des ministres exceptionnel consacré au coronavirus, aura clairement un impact sur le vote, dans la mesure où plusieurs enquêtes avaient préalablement établi qu'une majorité de Français était contre la mise en oeuvre de ce dispositif législatif, assimilé à un passage en force.
«Ce n'est toutefois pas l'unique raison loin de là», tempère le spécialiste. Dans un climat social toujours très inflammable, marqué depuis plusieurs mois par la crise des gilets jaunes, les raisons de la colère son en effet multiples et «sur le terrain, on voit clairement que beaucoup de candidats de la majorité ont, pour les municipales, mis en place des stratégies d'évitement en n'affichant pas l'étiquette de LREM», relève-t-il.
Sollicité également, le politologue et directeur de recherches émérite au CNRS Gérard Grunberg, estime quant-à-lui qu'il est compliqué d'avoir une vision générale de l'impact du 49.3 sur le vote, dans la mesure où les élections municipales sont, par définition, «une élection extrêmement locale au regard des types de listes et d'alliances qui s'y nouent».
«En revanche, les sondages montrent qu'il y a environ deux tiers des Français qui s'opposent au pouvoir, et en particulier à cette réforme des retraites, ce qui n'augure, a priori, pas de bons résultats pour LREM», indique-t-il.
Un vote LREM qui risque de se couper
Dans ces conditions, se pose donc la question de savoir quelles seraient les forces d'opposition qui, sur ce sujet du 49.3, tireraient le mieux leur épingle du jeu. Pour Philippe Moreau-Chevrolet, La République En Marche encourt tout simplement le risque «de se couper en deux, avec une partie des électeurs qui retournerait vers la droite traditionnelle, tandis que l'autre se tournerait plutôt vers le vote écologiste, puisqu'à gauche, il n'y a plus vraiment de port d'attache».
Une situation qui semble d'ailleurs déjà se dessiner à Paris en faveur de Rachida Dati. La candidate des Républicains (LR) étant créditée, selon un dernier sondage, de 25 % des intentions de vote au premier tour, cette dynamique serait due à un retour des voix des électeurs de droite vers la droite traditionnelle, et non plus vers LREM.
Philippe Moreau-Chevrolet explique que ce cas de figure pourrait aussi se vérifier à Marseille, où la candidate LR, Martine Vassal, est donnée favorite des sondages, mais, ajoute-t-il, «il se cantonnerait aux seules villes car LREM n'a pas de réelle implantation en dehors des grandes zones urbaines».
Quant au Rassemblement national (RN), il ne devrait pas avoir spécialement à gagner sur le 49.3. Traditionnellement, explique Philippe Moreau-Chevrolet, «le RN ne fait en effet pas de gros scores aux municipales même s'il peut espérer conquérir cette fois, en nom propre ou non, plusieurs villes». Pour autant, ajoute-t-il, «son électorat est surtout centré sur ses sujets phares comme l'immigration ou la crise du coronavirus qu'il englobe dans une perspective de fermeture des frontières.».
«On voit le soutien dont bénéficie Robert Ménard à Béziers (61 % d'opinions de vote favorable selon un récent sondage) qui, même s'il n'est pas RN se situe dans la même mouvance. On pense également à Perpignan, où Louis Aliot se présente et, l'un dans l'autre, le parti peut espérer rafler une dizaine de villes», décrypte encore le spécialiste.
Des abstentionnistes qui pourraient se ranimer
A contrario, une attention sera néanmoins plus particulièrement portée sur les abstentionnistes, potentiellement amenés, eux, à se remobiliser aux municipales à la faveur du 49.3.
Mais, pour les deux politologues, il est difficile d'anticiper ce phénomène. D'une part, parce qu'il s'agit d'une élection locale dans laquelle les électeurs votent aussi en fonction d'un maire que généralement ils connaissent, et, d'autre part, parce que la participation est habituellement élevée pendant les municipales.
Reste, enfin, des cas particuliers comme celui du Havre. Le Premier ministre se présente en effet dans son fief de Seine-Maritime, alors qu'il a engagé la responsabilité de son gouvernement sur l'épineuse réforme des retraites en enclenchant le 49.3.
Le chef du gouvernement va-t-il payer cette décision dans les urnes ? Pas vraiment selon les analystes.
Edouard Philippe épargné ?
Selon Philippe Moreau-Chevrolet, si Edouard Philippe va probablement «souffrir et avoir une campagne plus difficile qu'on ne le pense, en l'état actuel des choses et au regard de tous les sondages qui sont fait au niveau local, il bénéficie encore d'une bonne assise locale de soutiens et est donné gagnant, même s'il ne s'épargnera pas un second tour».
Même observation pour Gérard Grunberg, qui pense également que «le 49.3 n'aura pas vraiment d'impact sur les municipales au Havre parce qu'Edouard Philippe y bénéficie d'un électorat fidèle».
Mais, à plus long terme, le son de cloche pourrait bien être différent au niveau national dans la perspective de la présidentielle où «le souvenir du 49.3 pourrait accentuer le phénomène de rejet de la personne d'Emmanuel Macron, voire le structurer», estime Philippe Moreau-Chevrolet.
Gérard Grunberg ne partage cependant pas ce raisonnement. Pour lui, «49.3 ou pas, les anti-Macron resteront anti-Macron».
«La seule vraie question, dit-il, est de savoir si le chef de l'Etat se représentera et si la droite LR peut se reconstituer comme un grand parti. Il y aura très certainement Marine Le Pen en tête, et, à mon avis, le deuxième sera Emmanuel Macron ou un candidat de droite. Cela à moins d'un grand bouleversement que pour le moment, on ne voit pas», conclut-il.