Le père lutte contre une leucémie depuis 20 ans, le fils a eu un cancer à 48 ans. Raymond et Noël Pouliquen ont longtemps travaillé à l'atelier pesticides de Triskalia. Le groupe agricole vient d'être condamné en justice pour «faute inexcusable».
«On est peut-être des élus pour faire avancer la cause», sourit Noël Pouliquen, un grand gaillard de 52 ans, qui reçoit dans sa maison ornée de trophées de chasse, au fond d'un bois à Gourin (Morbihan).
Contrairement à leurs collègues de l'«atelier phyto» de Glomel (Côtes d'Armor), qui stocke les pesticides de Triskalia, le père, 72 ans, et le fils, 52 ans, considèrent avoir joui d'une certaine longévité. Cancers, Parkinson, tumeurs au cerveau... «Les dix de l'atelier phyto, ils sont tous malades ou morts», résume Noël, qui décrit des «collègues balayés en un an».
Embauché en 1973, Raymond raconte avoir travaillé sans gants ni masque de protection, à Carhaix (Finistère) puis à Glomel. «A un moment donné, on a réussi à avoir des gants en cuir, pas imperméables. C'était surtout pour éviter les coupures avec les cartons», dit-il.
Et quand les employés se sont inquiétés de ce manque de protection, Raymond se souvient qu'on leur a répondu : «ici, il n'y a rien de dangereux».
Dans les années 90, «entre 3.000 et 5.000 litres» de désherbants ont été «déversés à même le sol derrière le magasin», décrit aussi Raymond. D'autres étaient brûlés avec des palettes et emballages, selon lui : «rien n'allait à la poubelle, tout était brûlé derrière chez nous», assure-t-il.
Contacté, Triskalia, coopérative agricole et agroalimentaire, concède avoir «brûlé par le passé ses déchets (cartons, plastiques)» sur ce site, classé Seveso seuil haut, mais «dans le respect de la réglementation», selon un porte-parole.
«Scandale sanitaire»
En 1999, le jour de ses 52 ans, Raymond Pouliquen apprend qu'il est atteint d'une leucémie. «A cette époque, on disait qu'il vous restait un ou deux ans à vivre», se souvient-il. Il entame des démarches pour se faire reconnaître en maladie professionnelle, sans succès. «Je me suis engagé dans la bataille tout seul et je me suis fait démonter parce que je ne connaissais pas tout», dit-il.
En 2015, c'est au tour de son fils Noël, alors âgé de 48 ans, de se faire diagnostiquer un lymphome non hodgkinien, un cancer du système immunitaire. Son exposition habituelle aux pesticides lui vaut une reconnaissance en maladie professionnelle. «KO pendant un an», il a «failli y passer» après une embolie pulmonaire, dit-il.
Le 4 novembre, le tribunal de Vannes a jugé que sa maladie était due à la «faute inexcusable» de Triskalia, ouvrant la voie à une indemnisation. Le jugement mentionne notamment des «conditions de travail particulièrement peu respectueuses des règles sanitaires de protection des salariés et de l'environnement».
Plusieurs collègues ont témoigné en sa faveur. Comme ce magasinier-cariste de 51 ans «persuadé d'avoir eu une intoxication aiguë due aux pesticides», qui raconte avoir, un jour, été «pris d'un mal de tête, de nausées, de vomissements» et avoir saigné du nez et des oreilles, selon un témoignage écrit consulté par l'AFP. Malade depuis 2016, il dit souffrir aujourd'hui de «problèmes pulmonaires, respiratoires ainsi que des migraines incessantes».
La société Triskalia, qui n'a pas encore décidé si elle faisait appel, assure de son côté être «particulièrement soucieuse de la santé et de la sécurité de ses salariés». Ces derniers «portent des équipements de protection individuelle (EPI) et ne manipulent que des produits emballés dans des bidons ou des sacs parfaitement hermétiques. Ils n'ont donc par principe aucun contact avec ces produits», assure un porte-parole.
A l'heure actuelle, les collègues de Noël et Raymond Pouliquen n'ont pas suivi leur parcours judiciaire. «Noël et Raymond avaient le tempérament pour se battre. Beaucoup de gens ne veulent pas faire de bruit», explique Michel Besnard, du collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest.
Une nouvelle action en «faute inexcusable» contre Triskalia est envisagée pour un autre salarié victime des pesticides, avance cependant l'avocat François Lafforgue, parlant d'un «scandale sanitaire».