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Marlène Schiappa, en charge du Grenelle des violences conjugales : «Les violences ne resteront pas impunies»

C’est l’heure du bilan pour Marlène Schiappa. Trois mois après avoir lancé le Grenelle des violences conjugales, le 3 septembre dernier, en écho au numéro d’urgence 3919, la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes conclut, ce lundi 25 novembre, cette vaste concertation, pour la Journée internationale de l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

En première ligne sur ce dossier, la responsable politique sera entourée pour l’occasion d’une douzaine d’autres ministres (Justice, Education, Intérieur...) pour officialiser de nouvelles mesures annoncées par le Premier ministre Edouard Philippe.

Mais après la marche de samedi, qui a mobilisé des milliers de personnes à Paris, au-delà de la volonté affichée, il va falloir surtout convaincre. Entretien.

Après trois mois de travail, le Grenelle des violences conjugales s’achève aujourd’hui. Quel bilan en tirez-vous ?

Ce Grenelle a d’abord permis de parler des féminicides et des violences conjugales comme jamais auparavant. En ayant réuni autour de la table tous les acteurs (associations, magistrats, policiers...), le Premier ministre et l’ensemble du gouvernement ont voulu adresser un message très fort à la fois aux victimes, pour les protéger en les invitant à s’emparer des dispositifs existants, mais aussi aux auteurs de violences, pour les prévenir que leurs actes ne seront pas impunis.

Un collectif recense au moins 138 victimes de féminicides depuis janvier. Qu’est-ce qui va changer ?

Il convient d’abord d’être prudent sur ce chiffre, dans la mesure où plusieurs enquêtes sont en cours, elles seules permettront de dire quelles affaires sont des féminicides ou non. Il n’en reste pas moins que, quel que soit le chiffre, il sera bien sûr toujours trop élevé.

Je crois que ce qui va changer et le faire baisser, c’est avant tout un changement systémique. Désormais je pense que, du policier au magistrat en passant par les citoyens, tout le monde est déterminé à prendre ses responsabilités. C’est en agissant ensemble que ce Grenelle a été décisif.

Le bracelet anti-rapprochement va-t-il devenir une réalité ?

Ce dispositif, qui permet de maintenir à distance les conjoints ou ex-conjoints violents en alertant automatiquement les forces de l’ordre, sera généralisé dès l’an prochain. Pour cela, ce sont plus de 5,6 millions d’euros qui sont engagés.

Ce bracelet vient en complément du téléphone grave danger qui, lui, existe déjà, mais qui doit être actionné par la victime pour alerter les policiers. Nous faisons d’ailleurs en sorte que ces téléphones soient mieux distribués.

Les conjoints violents sont parfois aussi des parents. Allez-vous revoir l’autorité parentale ?

Comme le Premier ministre Édouard Philippe, je crois qu’un homme qui frappe la mère de ses enfants ne peut pas être un bon père. La suspension automatique de l’autorité parentale pour les hommes qui ont tué la mère de leurs enfants fait donc bien partie des mesures présentées. En ce sens, une proposition de loi sera portée très prochainement par des députés LREM avec l’appui du gouvernement.

La suspension automatique de l'autorité parentale pour les hommes qui ont tué la mère de leurs enfants fait bien partie des mesures présentées

Pour les hommes auteurs de violences conjugales, elle prévoit un aménagement de l’autorité parentale. Ils conserveront leurs devoirs, notamment celui de payer la pension alimentaire, mais ils perdront certains droits comme, par exemple, les droits de visite et d’hébergement parce qu’ils représentent une menace pour leurs enfants.

Vous avez annoncé, vendredi 22 novembre, que les armes des conjoints violents seraient saisies. Comment cela va-t-il se passer ?

A la suite d'une plainte pour violences conjugales, les armes à feu seront saisies dès le début de l’enquête. Cela fait partie du protocole mis en œuvre dans les commissariats et les gendarmeries, et applicable dès aujourd’hui. On dit souvent qu’une femme est «morte sous les coups de son conjoint» mais, en réalité, les armes à feu et les armes blanches constituent, de loin, le premier mode opératoire. Cette méthode s’applique déjà en Espagne avec succès et nous la mettons donc également en place.

Avant d’être tuées, beaucoup de femmes avaient porté plainte. Ces dernières sont souvent classées sans suite. Faut-il des sanctions en cas de manquements ?

Je crois que le rôle du gouvernement n’est pas tant de blâmer les forces de l’ordre que de leur donner de meilleurs outils. C’est pourquoi, vendredi, avec le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, nous nous sommes aussi rendus à l’école de gendarmerie de Chaumont (Haute-Marne) pour participer à un module de formation sur les violences conjugales.

Nous avons à cette occasion présenté une grille d’évaluation du danger. Élaborée avec les associations, elle permet aux forces de l’ordre de cerner concrètement le danger pour mieux protéger les femmes. Le but étant de mieux instruire les plaintes, d’avoir partout la même prise en charge et, bien sûr, de les transmettre aux parquets compétents.

En 2018, 30 % des auteurs de féminicides étaient sous l’empire de l’alcool. Quel suivi prévoyez-vous ?

La question du suivi des auteurs est un sujet important. Ce sont des hommes qui, bien souvent, n’ont connu que la violence et ont tendance à la répéter. Désormais, dès l’ouverture d’une enquête, une évaluation médico-psychologique sera faite pour permettre une prise en charge rapide de l’auteur, sans attendre le prononcé de la peine.

Dès l'ouverture d'une enquête, une évaluation médico-psychologique des auteurs sera faite

Je précise néanmoins que si l’alcool peut être l’élément déclencheur des violences conjugales, ce n’en est pas la cause. Il y a beaucoup de gens qui boivent de l’alcool, parfois en grande quantité, et qui ne sont pas pour autant violents et qui ne le seront jamais.

Un rapport du Conseil de l’Europe, divulgué la semaine dernière, déplore la définition du viol en France. Faut-il la revoir ?

Ce débat a déjà été soulevé l’année dernière quand nous avons porté une loi contre les violences sexistes et sexuelles. Aujourd’hui, la définition du viol en France consiste en un rapport sexuel avec pénétration obtenu sous la menace, la contrainte ou la surprise.

Il y a des standards européens encadrés par la convention d’Istanbul qui veulent plutôt que l’on se base sur une définition à la suédoise, c’est-à-dire que l’on considère qu’il y a viol à partir du moment où il n’y a pas de consentement explicite.

Je pense pour ma part que la définition française du viol est solide et constitue un bon compromis. En revanche, elle doit être davantage suivie d’effets. Aujourd’hui, il n’y a qu’1 % des violeurs qui sont en prison. Et s’il est déjà compliqué de prouver qu’il y a eu un rapport contraint avec pénétration par une menace, contrainte ou surprise, je pense qu’il serait encore plus compliqué de prouver un viol sous la seule notion de consentement explicite.

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[©N. REVELLI-BEAUMONT / SIPA POUR CNEWS]

Le secret médical doit-il être levé pour signaler, même contre leur gré, les victimes de violences sexuelles ?

C’est une proposition que je porte avec la ministre de la Justice, Nicole Belloubet et qui est une demande émanant de beaucoup de professionnels de santé, dont tous ceux qui ont participé au Grenelle. J’ai d’ailleurs rendez-vous cette semaine avec le président de l’Ordre des médecins pour avancer sur ce sujet.

Je pense que lorsqu’on a connaissance du fait que quelqu’un est en danger, c’est une responsabilité citoyenne de tout faire pour la protéger sans avoir à être inquiété. Il y a des femmes qui sont sous l’emprise de leur conjoint et qui n’iront jamais porter plainte. Je ne les juge pas mais il en va de la responsabilité de tous d’intervenir pour leur sauver la vie, même malgré elles.

Le collectif #NousToutes, qui a organisé une grande manifestation samedi dernier, réclame toujours «un milliard d’euros». Que répondez-vous ?

J’observe d’abord que leur demande a évolué. Dans un premier temps, leur revendication était d’avoir un milliard «comme en Espagne», soit un milliard sur cinq ans, pour l’égalité femmes-hommes. Entre 2012 et aujourd’hui, le budget consacré à l’égalité femmes-hommes a été multiplié par deux et pour 2020, il sera de 1,116 milliard d’euros. Donc c’est cinq fois plus que l’Espagne. Aujourd’hui, leur revendication est d’obtenir un milliard par an contre les violences et plus uniquement pour l’égalité femmes-hommes. Je ne suis pas dans la surenchère des moyens.

La question des moyens n’est-elle pourtant pas essentielle ?

La question des moyens est importante mais elle ne règle pas tout, comme on l’a vu, par exemple, avec les téléphones grave danger qui sont financés mais pas assez attribués. Beaucoup d’acteurs reconnaissent que ce n’est pas tant une question de moyens que de volonté d’appliquer ce qui est annoncé, et de coordination des parties prenantes.

Les moyens sont pourtant là : En plus du doublement du budget de l’égalité femmes hommes, nous avons ajouté 800.000 euros sur le Grenelle des violences conjugales spécialement pour l’Outre-mer, 4 millions d’euros pour la campagne #ArretonsLes qui permet de sensibiliser les témoins et 5 millions pour de nouvelles places d’hébergements. Concernant le 3919, on a octroyé deux augmentations successives en un an, ça ne s’est jamais vu.

Le candidat LREM Benjamin Griveaux aux municipales à Paris a présenté, samedi dernier, ses propositions pour les femmes de la capitale. Dans cette ville, les violences, notamment sexuelles, ont explosé. Des politiques locales sont-elles plus que jamais nécessaires ?

Vous avez tout à fait raison de pointer le sujet là-dessus parce que sur les violences conjugales et a fortiori sexuelles, on a trop tendance à s’adresser à l’État et uniquement à l’État. Concernant le récent féminicide en Alsace (affaire Sylvia A., ndlr), j’ai entendu plusieurs voix s’élever contre le gouvernement, et personne pour blâmer le tueur.

A titre personnel, je n'entrerai pas dans ce genre de polémiques, y compris en période de campagne, et vis-à-vis d’autres pouvoirs publics. En ce sens, je ne vais pas blâmer la maire de Paris parce qu’il y a une hausse des violences sexuelles (+3,25 % en un an, d'après la Préfecture de police de Paris, ndlr) dans les rues de la capitale.

L’Etat a lancé ce Grenelle et il y a une forte mobilisation. C’est pourquoi il faut que les collectivités, les régions et les communes prennent aussi leurs responsabilités. Il faut que les mairies mettent en place des locaux, et ce n’est pas le cas partout. A Marseille, notamment, où les associations que j’ai pu rencontrer font part de difficultés pour trouver des espaces où elles peuvent travailler. Chacun doit prendre ses responsabilités car l’Etat ne peut pas tout.

Vous avez récemment annoncé que l’Etat allait désormais expulser les étrangers condamnés en France pour violences sexuelles. Comment comptez-vous vous y prendre ?

Cette peine complémentaire existe déjà dans la loi, mais est rarement mise en œuvre. Le but est donc d’appliquer la loi. Une personne étrangère condamnée pour violences sexistes ou sexuelles en France ne doit pas y rester.

Que répondez-vous à ceux qui parlent ici de «double peine» ?

Ce n’est pas une double peine. Je ne comprends tout simplement pas pourquoi, lorsqu’un violeur est étranger, il faudrait le comprendre et faire en sorte qu’il puisse rester sur le territoire dans de bonnes conditions parce qu’il a construit sa vie ici.

Être étranger, ce n’est pas une circonstance aggravante mais ce n’est pas non plus une circonstance atténuante. Je m’étonne par ailleurs d’une forme de dévoiement du combat féministe qui veut faire passer les intérêts de citoyens d’autres citoyennetés avant les femmes victimes de violences.

Les affaires autour de Roman Polanski traduisent-elles une certaine impunité vis-à-vis des «puissants» ?

Je pense qu’il faut d’abord être clair sur plusieurs choses. Tout d’abord je n’ai eu de cesse de dénoncer l’impunité généralisée. Être riche, célèbre ou puissant ne doit en aucun cas offrir une espèce d’immunité.

Concernant Roman Polanski, je ne suis cependant pas juge et il ne m’appartient donc pas de me prononcer sur la culpabilité ou son innocence. Je pense néanmoins qu’il faut une tolérance zéro et que la justice doit avoir les moyens de se prononcer.

Les témoignages à son encontre se succèdent pourtant...

Je crois par principe toutes les femmes qui parlent. Cela vaut pour Valentine Monnier, cette photographe qui s’est exprimée récemment pour dire qu’elle avait subi des violences sexuelles de la part de Roman Polanski. Ce que je souhaite, c’est que la justice puisse statuer sur tous les cas, incluant ceux des producteurs et réalisateurs.

Pourquoi ne pas mettre en place une imprescriptibilité des peines en cas de crime sexuel ?

Nous avons déjà allongé l’année dernière, de dix ans, les délais pour les crimes sexuels commis sur mineurs. Je ne suis pas forcément contre l’imprescriptibilité des peines en cas de crime sexuels mais si vous décidez que pour les viols, il n’y a plus de prescription, on pourrait aussi demander de l’enlever pour les meurtres, pour les agressions sexuelles et ainsi de suite. Ce qui revient à mettre en cause le principe même de prescription.

C’est un débat que l’on peut avoir. Mais nous considérons que trente ans après la majorité, c’est un délai qui est déjà élevé.

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[©N. REVELLI-BEAUMONT / SIPA POUR CNEWS]

En fait, je crois surtout que ce qu’il faut faire c’est de permettre aux femmes de parler dès qu’elles le peuvent. C’est tout l’objet de la plate-forme que nous avons lancée : https://arretonslesviolences.gouv.fr/ qui permet aussi bien aux victimes qu’aux témoins de signaler ces violences. Quand on sait que c’est très difficile pour les victimes de se rendre au commissariat, c’est un outil très utile qui facilite l’accès à la plainte. Deux unités, l’une de police, l’autre de gendarmerie, s’y emploient 24 heures sur 24. Elles préparent les plaintes et aménagent un rendez-vous au commissariat pour la victime, ce qui lui permet d’avoir un meilleur suivi.

Tout bien considéré, diriez-vous que vous avez toutes les clés en mains pour faire baisser les féminicides alors qu’il y a eu auparavant cinq plans ministériels de lutte contre les violences faites aux femmes ?

Force est de constater que les précédents plans ministériels n’ont pas fonctionné. Je ne mets pas pour autant en cause la bonne volonté des précédents gouvernements, qui, je pense, ont à chaque fois permis de renforcer la protection des femmes. Mais cela n’a pas été porté à son terme.

Prenons l’exemple du numéro d’urgence 3919. C’est un numéro qui, à la base, avait été créé sous une autre forme il y a une dizaine d’années. Seulement 8 % de la population le connaissait, contre 59 % aujourd’hui avec le Grenelle des violences conjugales.

Plusieurs choses avaient commencé à être mises en œuvre, sans toutefois être menées à leur terme et là, pour la première fois, nous avons eu un Premier ministre qui a mobilisé l’ensemble de son gouvernement et toute la société.

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